Première N°499 – Septembre 2019

(Nancy Kaufman) #1
EN COUVE RTURE

The Master. À l’époque, quand je me retrou-
vais en bas d’un escalier, je me disais par-
fois que je n’allais pas réussir à le grimper.


Vous gardez des stigmates corporels
de vos rôles?
Comment ça?


Est-ce que votre corps se souvient
des conditions physiques dingues dans
lesquelles vous vous mettez quand
vous jouez? Quand je regarde The
M a s te r, j’ai mal pour vous, je me dis
que vous avez dû vous casser le dos...
C’est ma r rant que tu dises ça, pa rce que peu
de temps après le film, j’ai effectivement eu
un problème de hernie discale, et le toubib
m’avait demandé si je m’étais blessé. Non,
je n’avais subi aucun choc. Je m’étais juste
réveillé un matin comme ça. Je n’avais
pas fait le lien à l’époque. Est-ce que c’est
possible que ce soit The Master qui ait pro-
voqué ça? Je ne sais pas...


Il y a cette idée de la douleur,
de la souffrance, qui traverse votre
filmographie. Vous avez même joué
Jésus récemment. Pourquoi cette
obsession?
B a h , c’e s t l e p r i n c i p e m ê m e d u m é t i e r d ’a c t e u r,
non? Questionner la condition humaine


et exprimer de l’empathie. Ou alors tu ne
tournes que dans des films d’espionnage, tu
te balades autour du monde et tu tues des
gens. Ou dans des comédies romantiques.
Quelles autres options reste-t-il? Il faudrait
être la personne la plus insensible au monde
pour ne pas constater qu’il y a de la dou-
leur et de la souffrance partout autour de
nous. J’ai eu la chance de grandir dans une
famille exceptionnelle, aimante, j’ignore
ce que ça signifie de ne pas être soutenu,
entouré. C’est peut-être pour ça que je suis
si sensible à la solitude des personnages
que j’incarne. Et puis, il se trouve que les
choses m’affectent terriblement. Quand
je lis le journal, si je tombe sur un article
parlant d’un événement tragique, ce n’est
pas une simple information pour moi. Je la
ressens viscéralement, ça me tord le ventre,
j’ai une réaction émotionnelle intense. En

tant qu’acteur, je veux explorer ça. Voilà
pourquoi j’aime Joker : il y a tout dedans.
La tristesse, la douleur, mais aussi la joie
irrévérencieuse, les mots d’esprit, la din-
guerie... Que demander de plus? Je pense
souvent aux musiciens que j’adore. John
Lennon, par exemple. Dans son art, il aura
exploré tout le spectre des émotions hu-
maines. Et à l’inverse, il y a... non, je ne vais
pas citer l’antithèse de John Lennon, je ne
veux offenser personne! Mais disons la pop
bubble-gum. Ça peut êt re sympa à f redon ner
mais je ne voudrais pas participer à la créa-
tion de trucs pareils, je crèverais d’ennui, ça
me rendrait malade. Je ne sais pas si ce que
je raconte est clair...

Très clair...
Voilà pourquoi je suis attiré par ce genre
de personnages. Je veux une expérience
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