Première N°499 – Septembre 2019

(Nancy Kaufman) #1
En couvE rturE

complète, totale. Je ne pourrais pas jouer
dans une comédie romantique. Je me ferais
chier au bout de quelques jours! Ce n’est pas
pour dire que ce n’est pas difficile à faire,
mais c’est juste pas pour moi. Je précise que
s’investir totalement dans un rôle ne signi-
fie pas que l’expérience elle-même doit être
sinistre et déprimante. Sur le tournage de
The Master, on se marrait comme des
dingues avec Phil [Seymour Hoffman] et
Paul [Thomas Anderson]. Pareil pour Joker.

Comment s’est passée la rencontre
avec De Niro?
C’est terrible, ce genre de moment. Tu es
heureux de rencontrer quelqu’un que tu
admires mais quand ce jour arrive, tu es
immergé dans le travail, tout va très vite...
En plus, je ne suis pas franchement le genre
à faire la conversation, encore moins dans
ces moments-là. Avec De Niro, il y a eu trois
jours de tournage et je ne sais pas, euh...
(Il réfléchit.) Je ne lui ai pas vraiment parlé
en réalité.

Joker est nourri du souvenir de deux
films de Martin Scorsese, Taxi Driver
et La Valse des pantins. Je me trompe
ou ce dernier a beaucoup compté pour
vous? On trouve des échos de Rupert
Pupkin dans pas mal de vos
personnages, ce côté à la fois bouffon
et déchirant, notamment dans Two
Lovers de James Gray...
La vérité, c’est que je ne connais pas ces
films si bien que ça. Quand j’avais une
quinzaine d’années, mon frère [River

Phoenix] m’a fait découvrir Taxi Driver,
Raging Bull et La Valse des pantins, à
quelques mois d’intervalle. À l’époque, ça
a complètement changé la façon dont j’en-
visageais le cinéma. Du coup, je pensais
connaître ces films. Mais quand je les ai
revus récemment, notamment Ta xi Dr iver à
la fin du tournage de Joker, je me suis rendu
compte que j’avais quasiment tout oublié.
Bon, ils ont bien sûr eu une influence. Ce
sont les fondations du cinéma américain
moderne! Demander à un acteur s’il a été
influencé par De Niro, c’est comme demander
à un musicien s’il a été influencé par les
Beatles. Forcément, il l’a été, ne serait-ce
qu’à un niveau inconscient. Je ne suis pas le
genre à modeler mes interprétations sur le
souvenir de tel ou tel film. Mais là, quand
je t’ai entendu citer Rupert Pupkin et James
Gray dans la même phrase, j’ai eu un flash.
Tu dois avoir raison, on a forcément parlé de
La Valse des pantins un jour avec James...

Vous vous êtes remis de votre prix
d’interprétation cannoisen 2017 pour
A Beautiful Day? Vous aviez l’air
tellement surpris...
Ouais, j’en revenais pas! (Rires.) Je ne suis
pas à l’aise avec l’idée d’être isolé du reste

© NIKO TAVERNISE - WARNER BROS. PICTURES


de l’équipe, pointé du doigt. Peut-être parce
que je viens d’une grande famille où on par-
tageait tout. Gamin, je n’ai jamais fait de
sport, je ne participais pas aux compétitions
de base-ball... J’ai l’impression que beau-
coup de gens développent cet esprit de com-
pétition dès l’enfance. Cette idée qu’il faut
affronter les autres, sortir de la mêlée pour
être applaudi. Ce n’était pas du tout présent
chez nous. Je discutais avec ma mère l’autre
jour, et elle m’a raconté cette fois où ma
sœur et moi, enfants, avions tous les deux

« JE PEnSE QuE LE PouvoIr DE

FAScInAtIon Du PErSonnAGE

ESt SAnS FIn. »
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