C’est un système que vous avez
imaginé pour vous épanouir?
Non, ce n’est pas un système. Je crois vrai-
ment en l’idée du prototype. Chaque film
possède sa vérité industrielle. Mais être un
cinéaste « pauvre » a ses avantages : tous
les sujets sur lesquels je me penche ne se
montent pas forcément, pas im médiatement,
et j’ai donc plus de temps pour les travail-
ler. Au fond, c’est de l’artisanat et ça per-
met d’être plus flexible, plus réactif. Quand
je vois l’affaire Merah, par exemple, je me
documente et je comprends intuitivement
qu’il va y en avoir d’autres. Je vois tout de
suite que le nouveau romantisme « reubeu »,
après Scarface, est là. Je m’intéresse au tr uc
et je fonce pour écrire Made in France. Je
trouve ça très intéressant de voir le temps
qu’il m’a fallu, ainsi qu’à Philippe Faucon
[avec La Désintégration], pour traiter ce
sujet et au temps qu’il a fallu à Téchiné [avec
L’Adieu à la nuit] et aux Dardenne [avec Le
Jeune Ahmed] pour s’en emparer à leur tour.
Je ne parle pas des films, je ne les ai pas vus.
Mais c’est étonnant de voir le temps que ces
gens ont mis à se dire qu’il y avait un sujet.
Comment expliquez-vous cette
différence?
Leurs films sont peut-être meilleurs, mais
je pense qu’il y a une distance, chez ces
cinéastes-là, par rapport aux choses et à
l’époque. À mon avis, c’est là que réside la
différence entre l’artisan et l’artiste. Je lis
Le Parisien tous les jours. Et ça vibre dans
ces pages ; tu as les doigts dans la prise du
réel. Si tu es artiste, la question se pose dif-
féremment, tu te demandes sur quel sujet tu
vas te pencher cette fois, tu réfléchis à ton
œuvre... Et puis il y a ce principe de l’auto-
fiction chez certains artistes et je serais bien
incapable de faire ça. J’ai beaucoup de res-
pect pour Desplechin, mais je suis toujours
étonné qu’on puisse faire un film qui s’ap-
pelle Comment je me suis disputé (Ma vie
sexuelle). Dire « ma vie est intéressante » ça
doit venir de milieux particuliers. Il y a des
milieux où ta vie n’est pas un sujet.
Vous avez le même âge que Tarantino,
vous avez fait le même nombre
devenu l’attaché de presse de son cinéma.
Comme Fellini qui était le seul cinéaste dont
le nom figurait jusque dans les titres de ses
f i l m s : Felli n i Ro m a , L e C a s a n ova d e Felli n i.
Moi, je ne suis pas identifié, je ne suis per-
sonne. Si je prends des repères français, c’est
quoi les carrières qui m’intéressent? Des
gens comme Corneau, Chabrol, Boisset.
Pas des mecs obsédés par leur signature.
Mais c’était une autre époque, ces
cinéastes faisaient un film par an.
Aujourd’hui on ne peut plus faire
une carrière à la Chabrol.
Parfois, il y a des moments où tout s’en-
chaîne bien. Ces cinq dernières années,
j’ai fait trois ou quatre films. Il suffit qu’on
me propose un scénario et c’est bon. Avec
Lemaitre, c’est bien tombé. L’air de rien,
lui non plus ne réfléchit pas. Il a une idée
et il part... Il raisonne en intuition, pas en
thématique. C’est très pragmatique au
fond comme approche. J’avoue que les
cinéastes qui m’éclatent le plus aujourd’hui
sont ceux qui travaillent par intuition. Dans
Dunkerque, par exemple, c’est le cas. Nolan
de films que lui, neuf. Comme lui, vous
êtes un cinéaste très cinéphile. Et lui,
justement, vient de faire un film assez
autobiographique sur son enfance et...
(Il coupe.) Celui-là j’ai envie de le voir
parce que c’est très personnel. J’ai un rap-
port compliqué avec Tarantino. Jackie
Brown est mon préféré parmi ses films.
J’ai été très partagé par Les 8 Salopards.
C’est un film très bien fait, très rigoureux,
mais abject idéologiquement. Ce film se-
rait arrivé six mois plus tard, après l’affaire
Weinstein, il se serait fait massacrer. Le pro-
jet du film, c’est quand même de frapper une
fille et de finir par la pendre! Mais je suis
sûr que Once Upon a Time... in America est
incroyable.
On voulait surtout vous demander si
vous ne rêviez pas de ce cinéma très
nostalgique, très autobiographique
et cinéphile, très 70 mm.
Non, parce que j’en reviens toujours au
même truc, l’artisanat. Tu fais, et puis un jour
tu t’arrêtes ou on t’arrête. Et tu auras tourné
dix, onze films, et l’histoire fera le tri.
Mais ce n’est pas inhérent au cinéaste
cinéphile, cette idée de signature?
Il faut être identifié pour ça. Tarantino est
© NICOLAS SCHUL / ROBERTO FRANKENBERG - ÉDITIONS ALBIN MICHEL
« JE CROIS VRAIMENT
EN L’IDÉE DU PROTOTYPE.
CHAQUE FILM POSSÈDE
SA VÉRITÉ INDUSTRIELLE. »
INTERVIEW