Le Vif L’Express N°3555 Du 22 Août 2019

(Barry) #1

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ANVERS Boduognat,
démantelé et humilié
La statue monumentale d’un autre chef
gaulois, Boduognat, eut un sort plus funeste.
Le chef militaire de la puissante tribu des
Nerviens a trôné pendant près d’un siècle
au rond-point du boulevard Léopold, devenu
Belgiëlei, à Anvers. En août 1861, lors de
son installation, le Boduognat mourant de
Joseph-Jacques Ducaju est décrit par la
presse (Le Précurseur) comme « l’un des fon-
dateurs de cette Belgique vénérée », un « sym-
bole du patriotisme, de l’indépendance na-
tionale et du dévouement sacré au sol natal ».

La statue est démontée en 1952. Ses frag-
ments sont relégués dans un magasin, puis
se retrouvent, en 1966, dans une propriété
privée, à Schilde. Au milieu des années
1980, le Nervien est victime d’une ultime
humiliation : sa tête rejoint, au jardin zoo-
logique d’Anvers, « les espèces menacées
d’extinction, en un parterre à deux pas de
l’okapi et d’un gorille en bronze », signalait,
en 1997, l’historien Philippe Godding.
Tout ce que l’on sait sur Boduognat pro-
vient du De Bello Gallico de César, ouvrage
de propagande destiné à valoriser le général
vainqueur. César est venu, l’a vu et l’a vaincu
en -57, sur les rives d’un cours d’eau nommé
Sabis par le proconsul. Cette rivière serait la
Selle, affl uent français de l’Escaut, et non la
Sambre, comme on le pensait depuis le XIXe
siècle. Au Boduognat mourant d’Anvers,
démantelé, et au fi er Ambiorix de Tongres,
toujours en place, s’ajoute une autre repré-
sentation des deux chefs gaulois : ils fi gu-
raient ensemble, depuis 1866, sur une porte
de l’enceinte urbaine anversoise, dite « de
Brialmont ». Ce monument-là a, lui aussi,
disparu depuis longtemps.

La statue en bronze de Childéric,
œuvre contemporaine installée à
Tournai, lieu de résidence du roi
mérovingien, a connu une autre
mésaventure. En 2011, sept ans
après son inauguration, elle a été
sciée de son mât et dérobée. « Les
voleurs étaient deux jeunes Tour-
naisiens qui semaient le trouble
dans un quartier de la ville, signale
Karen Van Erpe, chef de service à
l’offi ce du tourisme. La statuette a
été récupérée une dizaine de jours
après le vol. Elle a été réinstallée
sur la place de Nédonchel et fait
partie d’un ensemble de statuettes
du circuit du cœur historique. »
Conçue par l’artiste plasticienne
Christine Jongen, la statue pré-
sente le roi debout, appuyé sur
son épée. Roi des Francs saliens et
gouverneur romain de la province
de Belgique seconde, Childéric est
le père de Clovis, premier roi de ce
qui deviendra la France, selon la
tradition républicaine. « Tournai
ne pouvait faire l’impasse sur un
souverain aussi important, estime
Karen Van Erpe. Grâce à lui, la ville
peut être considérée comme le ber-
ceau de la France. »

La vie de Childéric Ier (vers 436-481)
est tumultueuse. Ses aventures
galantes, narrées un siècle après
les faits par Grégoire de Tours, au-
raient pu inspirer l’auteur de la saga
Game of Thrones. « Il s’abandonnait
à une honteuse luxure, déshono-
rant les femmes de ses sujets, ra-
conte l’évêque. Indigné, son peuple
le détrôna.  » Le roi mérovingien,
qui craint d’être assassiné par les
siens, s’enfuit en Thuringe, où le
roi Basin l’accueille. L’exilé, tel le
Pâris de l’Iliade, séduit la femme
de son hôte, si l’on en croit les récits
des chroniqueurs, fondés sur des
croyances populaires. Sa liaison
avec la reine Basine dure pendant
les huit ans du séjour du roi franc
à la cour thuringienne. Une fois le
calme revenu en Belgique seconde,
Childéric parvient à y récupérer son
trône. Basine le rejoint à Tornacum
(Tournai) après avoir abandonné
époux et enfants. De leur union naît
Chlodovech, le fameux Clovis.
Childéric refait parler de lui près
de douze siècles plus tard. En 1653,
un ouvrier occupé à creuser les fon-
dations d’une habitation proche de
l’église Saint-Brice, à Tournai, met
au jour un caveau rempli d’objets
précieux : une épée d’apparat, un
bracelet torse, des bijoux en or cloi-
sonnés de grenats, une centaine de
monnaies en or... Un anneau sigil-
laire porte l’inscription Childerici
Regis (du roi Childéric), ce qui per-
met d’identifier le défunt trouvé
dans la sépulture. L’archiduc qui
gouverne les Pays-Bas comprend
la valeur inestimable du trésor et
manœuvre pour que les autorités
tournaisiennes lui en fassent pré-
sent. L’empereur d’Allemagne
hérite de la collection et en fait ca-
deau, en 1665, à Louis XIV, qui la
confi e au Cabinet des médailles.
Le trésor du premier souverain
des Francs saliens est volé en


  1. Fondus pour être transfor-
    més en lingots, les 80 kilos d’ob-
    jets en or sont perdus à jamais.


précieux : une épée d’apparat, un
bracelet torse, des bijoux en or cloi-
sonnés de grenats, une centaine de
monnaies en or... Un anneau sigil-
laire porte l’inscription
Regis
met d’identifier le défunt trouvé
dans la sépulture. L’archiduc qui
gouverne les Pays-Bas comprend
la valeur inestimable du trésor et
manœuvre pour que les autorités
tournaisiennes lui en fassent pré-
sent. L’empereur d’Allemagne
hérite de la collection et en fait ca-
deau, en 1665, à Louis XIV, qui la
confi e au Cabinet des médailles.
Le trésor du premier souverain

jets en or sont perdus à jamais.

TOURNAI Childéric, volé et retrouvé


DR

CHRISTINE JONGEN

LE VIF • NUMÉRO 34 • 22.08.2019

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