Le Vif L’Express N°3555 Du 22 Août 2019

(Barry) #1

HISTOIRE MÉMOIRE


De toutes les statues des « gloires » de nos régions, celle qui
bénéficie de l’emplacement le plus visible et le plus prestigieux
est assurément celle de Godefroid de Bouillon, qui trône au
milieu de la place Royale, à Bruxelles. Inauguré en août 1848,
l’imposant monument en bronze d’Eugène Simonis peut être
vu à distance, de la rue Royale. Certains
estiment que c’est faire trop d’honneur
au premier souverain franc de Jérusa‑
lem (1058‑1100). L’image du chef croisé,
dont la Belgique a fait un héros national,
est écornée. Le modèle idéal du cheva‑
lier pieux et brave, incarnation du mé‑
lange entre l’âme latine et les qualités
germaniques, est révolu.
Le duc de Basse‑ Lotharingie « a laissé
massacrer les Juifs de la vallée du Rhin
qui lui avaient acheté sa protection »,
relève l’historienne Isabelle Wanson
dans Les Grands mythes de l’histoire
de Belgique (EVO, 1995). Dix ans plus
tôt, le médiéviste belge Georges Despy
(Godefroid de Bouillon, mythes et réali-
tés, Académie royale de Belgique, 1985)
considérait déjà Godefroid comme un
seigneur violent, rapace et sans ver‑
gogne. En 1099, la prise de Jérusalem,
dont le duc a été l’un des artisans, s’est


soldée par un gigantesque bain de sang. Plus globalement, les
croisades sont vues aujourd’hui, par beaucoup, comme une
agression de barbares médiévaux contre le monde musulman,
prélude au colonialisme et à l’impérialisme.
Le personnage de Godefroid n’a pas livré tous ses secrets.
Où est‑il né ? A Baisy‑Thy, dans l’actuel
Brabant wallon, comme l’ont longtemps
prétendu les érudits belges ? Ou, ce qui
est plus probable, à Boulogne, sur la côte
française ? Quand ? En 1058 ou en 1061 ?
Quelles sont les causes de sa mort ? Il
décède le 18 juillet 1100, de retour d’une
expédition contre le sultan de Damas. Il
aurait été empoisonné après avoir man‑
gé une pomme ou il aurait été tué par
une flèche musulmane empoisonnée.
Le plus probable est qu’il a succombé
à une fièvre. Son frère cadet, Baudouin
de Boulogne, alors comte d’Edesse, lui
succède. Il prend le titre de « roi de Jéru‑
salem », ce qui marque une rupture avec
la politique de soumission au Saint‑
Siège de son prédécesseur. Godefroid
s’était contenté du titre d’« avoué du
Saint‑Sépulcre » pour ne pas méconten‑
ter l’Eglise, aux yeux de laquelle le pape
est souverain en Terre Sainte.

LIÈGE Charlemagne, pas vraiment Liégeois
Liège a sa statue équestre de Charlemagne, posée sur un socle en
pierre où sont représentés les ancêtres du restaurateur de l’empire
romain d’Occident (748‑818) : Pépin de Herstal, Charles Martel, Pépin
le Bref... Prévu initialement pour la place Saint‑Lambert, l’imposant
monument a finalement été érigé, en 1868, boulevard d’Avroy.
A l’époque a rebondi le débat sur le lieu de naissance de l’empe‑
reur. Il n’est pas clos. Les milieux politiques et scientifiques liégeois
ont longtemps défendu l’idée d’une naissance dans l’un des palais
carolingiens du pays mosan, où Pépin le Bref, père de Charlemagne,
a pu résider. Herstal et Jupille continuent ainsi à se disputer le titre
de ville natale. Mais les historiens belges contemporains rejettent
l’esprit de clocher : en toute logique, le roi des Francs et des Lombards
est né sur les terres neustriennes de ses parents (le nord‑ouest du
royaume franc, entre Seine et Loire) et non en Austrasie (le nord‑est,
soit les bassins de la Meuse et de la Moselle). « Précisons que Char‑
lemagne n’est pas né en 742, comme on l’a cru longtemps, mais en
748 », prévient l’historienne Florence Close, de l’ULiège. « Or, à cette
époque, poursuit son confrère Alain Dierkens, de l’ULB, la fréquence
des itinéraires suivis par Pépin le Bref nous oriente vers les palais de
l’Oise et la région parisienne. »

BRUXELLES
Godefroid de Bouillon, modèle obsolète

HATIM KAGHAT

GETTY IMAGES
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