Le Vif L’Express N°3555 Du 22 Août 2019

(Barry) #1
GAND
Jacques van Artevelde,
héros flamand
La statue monumentale de Jacques van
Artevelde, à Gand, impressionne les
passants. Réalisée par Pierre de Vigne-
Quyo, elle a été érigée en 1863 sur la
place du Vrijdagmarkt. Le « héros » in-
dique du bras la direction de l’Angle-
terre, dont il a tant servi les intérêts en
pleine guerre de Cent Ans. Issu d’une
riche famille de l’industrie drapière,
van Artevelde (1287 -  1345) a exercé
un pouvoir absolu à Gand. Il a réussi
à fédérer les villes rivales flamandes
et a conclu un accord économique
et militaire avec le roi d’Angleterre
Edouard III. Il a réussi ainsi à faire lever
l’embargo sur l’importation des laines
anglaises et est devenu l’homme fort
du comté de Flandre à partir de 1338.
Mais les conflits entre métiers ont pro-
voqué sa perte : il est assassiné en 1345.
L’historien américain David Nicholas,
auteur de The van Arteveldes of Ghent
(Brill, 1988), campe une personnalité
cruelle, individualiste et opportuniste.
Le mouvement nationaliste flamand a
plutôt exploité l’image romantique du
tribun de Gand.

En 1898, le conseil communal de Bruxelles, dirigé par Charles Buls, com-
mande une statue pour honorer un héros local : l’échevin patriote Everard
t’Serclaes, qui a chassé les troupes flamandes de Bruxelles en 1356, en pleine
crise dynastique brabançonne. Inauguré en 1902 aux abords de la Grand-
Place, le bas-relief en laiton, réalisé par le sculpteur Julien Dillens, est l’un
des monuments les plus lugubres de la capitale et celui qui attire le plus les
superstitieux. Bon nombre de visiteurs qui défilent dans la galerie située sous
la maison de l’Etoile, où a été placé le gisant, ne manquent pas de l’effleurer.
La légende raconte que quiconque frotte son bras sera assuré de revenir à
Bruxelles ou pourra faire un vœu qui sera exaucé. « Cette croyance populaire
remonte à l’entre-deux-guerres et vient d’un commerçant du marché aux
oiseaux dominical », assure Roel Jacobs, auteur d’Une Histoire de Bruxelles
(Racine, 2004). Les Bruxellois ont d’abord touché la main de la statue pour
obtenir sa protection. La pratique a ensuite évolué. Aujourd’hui, les touristes
astiquent le brave t’Serclaes des pieds à la tête !


Le bas-relief est victime de son succès : le frottement répété a troué le métal.
L’original a dû être restauré en 2011 et a été remplacé en 2016 par une copie
en résine. La plupart de ceux qui s’agglutinent autour du gisant ignorent tout
du personnage historique, mort précisément dans la maison de l’Etoile. Cinq
fois échevin de la ville, t’Serclaes s’est fait beaucoup d’ennemis au cours de
son existence. Son coup d’éclat remonte au 24 octobre 1356. « Avec ses parti-
sans, il entre subrepticement en ville, en escaladant les remparts du fond de
son jardin, raconte Roel Jacobs. Il chasse de la cité des troupes d’occupation
flamandes. » L’existence du libérateur de Bruxelles finit mal : le 26 mars 1388,
il est attaqué par deux affidés de Sweder d’Abcoude, seigneur de Gaasbeek, qui
lui coupent un pied et la langue et l’abandonnent à moitié mort. Ramené en
ville, il meurt quelques jours plus tard. T’Serclaes paie ainsi son opposition au
seigneur de Gaasbeek, qui cherchait à étendre son influence du côté de Rhode-
Saint-Genèse, alors du ressort de l’amman de Bruxelles. Furieux, les Bruxellois
marchent sur Gaasbeek, assiègent le château et le détruisent.


BRUXELLES Everard t’Serclaes, chouchou des superstitieux


HATIM KAGHAT

OLIVIER ROGEAU
Free download pdf