Le Vif L’Express N°3555 Du 22 Août 2019

(Barry) #1

secondaire ordinaire de plein
exercice est aujourd’hui de 77 %, soit
une grande majorité des jeunes. Mais
parmi tous ceux qui se lancent, beau-
coup échoueront, en particulier dans
les filières universitaires où le taux
d’abandon est proche des 50 %. Dans une
analyse présentée à l’UNamur en février
dernier, Catherine Dehon, professeure
de statistique à la Solvay Business
School, rappelait : « Au niveau politique,
le système d’accumulation de crédits se
justifiait par l’inclusion de toute une sé-
rie de profils et l’idée un peu naïve que,
puisque tous les élèves de secondaire
n’arrivent pas avec le même niveau, si
une faiblesse se présente, l’étudiant n’est
pas sanctionné et peut prendre plus de
temps pour s’adapter au monde univer-
sitaire. Mais le problème, c’est que c’est
devenu la norme pour la majorité des
étudiants. On n’a pas vraiment réussi à
atteindre ceux qu’on voulait atteindre,
ce qui a eu des impacts négatifs sur ceux
qui réussissaient avant. »
Le temps où la première année d’uni-
versité servait à « faire le tri » est bel et
bien révolu... mais ne semble pas avoir
amélioré à long terme le destin des étu-
diants en difficulté. « Aujourd’hui, vous
voyez arriver en Bloc 2 des étudiants qui
ont péniblement réussi à accumuler


45 crédits du Bloc 1... en deux ans ! Avec
ce système à la carte, ils espèrent donc
réussir en un an 75 crédits, alors qu’ils
en ont péniblement obtenu 45 en deux !
On se trouve face à des publics qui n’ont
plus du tout le niveau du cours qu’on
donnait jusque-là, pointe une ancienne
chargée de cours en faculté de droit,
qui a quitté l’université en raison de ces
évolutions qu’elle juge invivables. Soit
il faut adapter son cours... mais sans sa-
voir jusqu’où, soit on garde les mêmes
exigences et on devient le prof chez qui
tout le monde échoue. »

Une inclusivité de façade?
Si des évaluations plus systématiques
de l’impact du décret Paysage devraient
prochainement voir le jour – les pre-
miers étudiants ayant entièrement
réalisé leur cursus dans ce système

viennent d’être diplômés –, les voix aler-
tant sur ses impasses n’ont pas attendu
pour se faire entendre. Dans une lettre
ouverte publiée en septembre 2018,
400 professeurs d’université dressaient
un constat alarmiste des effets du dé-
cret, évoquant un « faux sentiment de
réussite » chez les étudiants.
Si Paysage entendait favoriser un en-
seignement inclusif qui n’élimine pas
les étudiants dès la ligne de départ, il
pourrait dans les faits exclure davan-
tage encore certains publics. Tel est en
tout cas l’avis de Chems Mabrouk, pré-
sidente de la FEF (Fédération des étu-
diants francophones) : « Nous craignons
que le décret entraîne globalement un
allongement des études. Or, quand on
sait qu’une année coûte entre 8 000
et 12 000 euros, il est évident que tout
le monde ne peut pas se permettre de
payer une telle somme chaque année. »
La mise en place d’aides à la métho-
dologie, de cours de soutien, de blo-
cus assistés, etc. sont autant de pistes
pour réduire le taux d’échec. Mais
suffiront-elles à accélérer le rythme de
réussite ? Le décret Paysage a peut-être
abusivement misé sur la faculté de cha-
cun à mettre les bouchées doubles dès
le départ – à un âge où, du reste, mille
autres vies attendent.V

DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR



Lara, étudiante en biologie à l’ULiège : « Finalement, j’aurai
fait ce master de biologie en quatre ans au lieu de deux. »
« J’ai obtenu un bachelier en agronomie à la haute école
Condorcet, à Ath. Ensuite, j’ai décidé de faire une passerelle
pour suivre un master en biologie des organismes et écologie à
l’ULiège. A Ath, mes profs me disaient que malheureusement,
avec un simple bachelier en haute école, je risquais de ne pas
être bien traitée et pas bien payée dans mon futur métier et qu’il
était presque impossible de faire de la recherche, même si les
compétences étaient là. En année de passerelle, chaque étudiant
est censé avoir un programme « à la carte » avec des cours de
premier, deuxième et troisième bachelier de biologie
représentant 60 crédits. Mais en réalité, nous étions dix élèves et
nous avions tous le même programme... alors que nous avions
tous des parcours différents. Ce n’est pas normal ! Je me suis
donc retrouvée avec des cours que j’avais déjà eus et d’autres où
je n’avais aucune base. Résultat : aujourd’hui, je suis en train de

finir ma première master avec de bons résultats... sauf que je
dois repasser pour la troisième fois trois cours de passerelle pour
lesquels j’avais des difficultés. Si je les rate encore, je pourrai
passer en deuxième master mais je devrai alors reprendre une
année pour réaliser mon mémoire car on ne peut de toute
manière pas le présenter si on n’a pas réussi tous les cours de
passerelle. Donc, finalement, j’aurai fait ce master de biologie en
quatre ans minimum au lieu de deux. Cela dit, si c’était à refaire,
je referais la même chose. Au cours de mon bachelier, j’ai fait
énormément de terrain, de labo. Beaucoup d’étudiants qui ont
suivi le bac universitaire ont moins d’acquis que moi à ce
niveau. Ils arrivent en master sans avoir jamais réalisé un simple
PowerPoint, un rapport, une présentation orale... Globalement,
au niveau de ma formation, j’ai l’impression d’être mieux
armée. En revanche, c’est clair, l’exigence au niveau des heures
de travail comme des évaluations elles-mêmes est nettement
plus élevée à l’université. Il faut y être préparé. »

TÉMOIGNAGE


LE TEMPS OÙ LA
PREMIÈRE ANNÉE
D’UNIVERSITÉ
SERVAIT À «FAIRE
LETRI» EST BEL
ETBIEN RÉVOLU.
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