Le Vif L’Express N°3555 Du 22 Août 2019

(Barry) #1

Quelles sont les principales
difficultés posées par le décret
Paysage ?
D’abord et assez largement, des pro-
blèmes d’organisation. Il devient parfois
impossible d’établir des horaires qui
permettent aux étudiants de suivre l’en-
semble des cours à leur programme. La
deuxième difficulté, c’est la façon dont
les étudiants perçoivent leurs progrès
pendant leurs études. Il n’est pas rare de
voir des étudiants qui accumulent des
crédits à un rythme trop lent jusqu’à de-
venir parfois non finançables. Ce sont
souvent des étudiants qui auraient
mieux fait de se réorienter plus vite mais
pour qui le signal n’est pas apparu de
manière suffisamment claire. Précé-
demment, on pouvait doubler une an-
née, pas la tripler. Tous les étudiants
comprenaient cette règle. Aujourd’hui,
on considère que si on accumule moins
de 30 crédits en moyenne par an, c’est
trop lent. Cela veut plus ou moins dire la
même chose, mais le signal n’est pas
donné avec la même force... Enfin, l’al-
longement des études, qui semble se
confirmer et qui n’est pas souhaitable,
ni du point de vue de l’argent public ni
du point de vue de l’individu.


Pour certains, le décret Paysage
refléterait aussi la mainmise du
pouvoir politique sur le monde
universitaire et menacerait in fine
la liberté académique.
Je pense qu’heureusement, on a encore


une liberté dans les universités. Si je
veux enseigner une théorie innovante,
à l’université, je peux le faire. Or, on sait
que la science progresse souvent par des
ruptures, des idées qui ne vont pas dans
le sens des idées reçues, ce qui ne signi-
fie pas enseigner n’importe quoi n’im-
porte comment. Prenons l’exemple du
réchauffement climatique : on a cer-
taines connaissances, des modèles qui
font certaines prédictions, mais les
choses peuvent aussi être pires ou moins
dramatiques que les prédictions de ces
modèles : il faut qu’on puisse communi-
quer là-dessus et garder à l’esprit que les
vérités scientifiques d’une époque ne
sont pas celles d’une autre. De ce point
de vue, la liberté académique me semble
préservée, de même que la spécificité de
l’université qui est d’avoir des ensei-
gnants qui sont aussi des chercheurs.
Quant à savoir si le politique a de plus en
plus d’influence sur les universités...
c’est à la fois vrai et pas vrai. Si on re-
monte dans l’histoire, l’influence poli-
tique était plus grande. L’époque où il
fallait des connexions politiques pour
être prof d’unif n’est plus la nôtre. Mais

du point de vue de notre organisation,
les décrets sont contraignants et ce car-
can ne nous permet pas de toujours
fonctionner comme on le souhaiterait.

Le décret Paysage va-t-il dans le
sens d’une démocratisation de
l’enseignement supérieur ?
Ce qui permet une démocratisation ef-
ficace n’est pas toujours ce qu’on ima-
gine. D’abord, c’est quoi la démocrati-
sation ? Pour moi, c’est permettre à
chacun d’aller au bout de ses capacités,
indépendamment de son milieu d’ori-
gine : c’est essentiel et cela fait partie des
choses que je défends. Mais la démocra-
tisation, ça commence tôt ! Et là, je suis
un peu critique par rapport à notre en-
seignement primaire et secondaire dans
lequel les enseignants sont difficiles à
recruter au point que certains cours ne
se donnent pas. Dès ce stade, ceux qui
n’ont pas de support à domicile, que ce
soit de la part des parents ou par l’inter-
médiaire de cours particuliers, sont dé-
favorisés et c’est difficile d’ensuite y
remédier. Quant aux systèmes de sélec-
tion, ils ont leurs défauts, mais il est né-
cessaire de faire au moins des tests
d’orientation. Au filtrage à l’entrée, je
préfère un système qui permette de faire
un bilan, de dire dès le début à quelqu’un
qu’il doit prendre des cours de rattra-
page. Mais laisser venir tout le monde
dans des filières où 80 % des élèves se
cassent la figure, cela n’a pas de sens. V
ENTRETIEN : JULIE LUONG

DOSSIER ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR


«  L’allongement des études


n’est pas souhaitable  »


Recteur de l’ULiège depuis octobre 2018, Pierre Wolper adresse comme nombre
de responsables universitaires un certain nombre de critiques au décret Paysage.
Mais il l’assure : la liberté académique, elle, reste intacte.

Pierre Wolper,
recteur de
l’ULiège.

THIERRY ROGE/BELGAIMAGE
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