Le Vif L’Express N°3555 Du 22 Août 2019

(Barry) #1

l’année suivante du mouvement #Me-
Too ont fissuré la chape de connivence
qui a longtemps protégé les prédateurs
sexuels fortunés. Aujourd’hui, tous ceux
qui l’ont fréquenté minimisent leurs re-
lations et nient avoir eu connaissance
de ses crimes.
Pas sûr pour autant que ce changement
d’ère suffise à réparer les torts infligés
aux victimes d’Epstein. « Aucun com-
plice ne dormira tranquille », a assuré le
ministre de la Justice, William Barr, au
lendemain du probable suicide. Depuis
le 14 août, à New York, Jennifer Araoz,
aujourd’hui âgée de 32  ans, et deux
autres femmes dont il aurait abusé ont
intenté une action en justice contre les
héritiers de Jeffrey Epstein. Elles s’ap-
puient sur une loi new-yorkaise adoptée
après les scandales de pédophilie récur-
rents dans l’Eglise, laquelle accorde un
an aux victimes présumées de crimes
sexuels pour porter plainte, quelle que
soit l’ancienneté des agressions subies.
La bataille judiciaire pourrait s’étendre.
Mais les actions intentées contre Epstein


lui-même se sont éteintes, la justice ne
pouvant poursuivre une enquête cri-
minelle sur un disparu. De plus, sou-
ligne l’ancien procureur fédéral Renato
Mariotti, prouver la complicité de l’en-
tourage d’Epstein ne sera pas chose aisée.

Selon un sondage publié en 2017,
huit Américains sur dix estiment que
« les riches » ont trop de pouvoir et d’in-
fluence à Washington. Gageons que le
cas Jeffrey Epstein ne fera qu’amplifier
la défiance qu’inspirent les puissants. V

Jeffrey Epstein s’est-il vraiment suicidé? Sa vie comme sa mort offrent tous les
ingrédients requis aux adeptes de la conspiration. A commencer par le premier
d’entre eux, Donald Trump, qui a partagé, à l’annonce de sa disparition, un tweet
incriminant Bill Clinton. Difficile, il est vrai, de ne pas être assailli par le doute face
aux circonstances de ce décès : le trader était détenu au Metropolitan Correctional
Center de Manhattan, l’une des prisons les mieux gardées du pays. Plus incroyable
encore, la surveillance antisuicide renforcée dont il était l’objet depuis ce qui
ressemblait fort à une tentative de mettre fin à ses jours, survenue
le 23 juillet, avait été levée six jours plus tard... à la demande de ses propres
avocats. Sa vie, elle aussi, ressemble à un scénario de film. Qu’il s’agisse de
sa fortune, dont l’origine autant que l’étendue restent obscures, de son profil de
prédateur-sexuel-entouré-d’amis-puissants-s’en-prenant-à-des-adolescentes-
vulnérables, ou de son habileté, des années durant, à échapper aux foudres de la
justice. « La culture américaine de l’impunité des élites a permis aux théories
conspirationnistes de foisonner, souligne McKay Coppins dans la revue The
Atlantic [...]. Quel que soit le type d’élites que vous détestez – démocrates,
républicaines, financières, universitaires, technologiques, de la côte Est ou Ouest,
Epstein était lié à toutes. » Comment, dès lors, tenir rigueur à ceux qui
accueilleront avec incrédulité les prochains comptes rendus officiels de l’enquête?

LA RECETTE PARFAITE DU COMPLOT


S. KEITH/GETTY IMAGES/AFP

Manifestation devant le palais
de justice de New York, le 8 août.
Le suicide du trader, deux jours
plus tard, laisse planer le doute
sur l’étendue de ses méfaits.
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