Le Vif L’Express N°3555 Du 22 Août 2019

(Barry) #1
elle s’appuie sur des données objectives,
et en même temps qui nous échappe
sans cesse. Quoi que je calcule, cela reste
abstrait, insaisissable, et c’est ça qui est
fascinant. Si je dis par exemple qu’il me
reste 1 000 jours à vivre, c’est à la fois peu
et beaucoup – difficile à appréhender.

Comment avez-vous choisi ce
que vous alliez mesurer pour
éviter d’être trop général ou trop
particulier ?
J’ai essayé de ne pas prendre que des
chiffres qui me définissent culturelle-
ment – à savoir un homme urbain et
européen –, mais de dresser un cadre,
une grille de lecture plus large. Je mêle
aux questions intimes, comme écrivain,
comme père ou fils, des références plus
universelles comme le nombre de sper-
matozoïdes produits depuis ma nais-
sance, l’empreinte carbone moyenne, la
longévité des chasseurs-cueilleurs. Une
biographie se construit aussi à travers
des éléments extérieurs, périphériques.

Qu’avez-vous découvert
d’essentiel sur vous ?
Notamment que la question de la trans-
mission était très présente. A tous les
niveaux – familial et universel. Je com-
mence le livre en comparant l’âge de
la Terre et le temps qui lui reste avant
de mourir. Les questions écologiques
reviennent aussi régulièrement. En
quantifiant le monde sous toutes ses
coutures, notre fin individuelle ou collec-
tive apparaît d’ailleurs plus clairement.
Elle semble plus proche. Ce qui peut être
assez anxiogène. Ou, au contraire, aider
à une prise de conscience... V

Databiographie,
par Charly Delwart,
Flammarion, 336 p.
A paraître le 28 août.
Une rencontre-lecture
avec Charly Delwart
est programmée à
l’Intime festival de
Namur le dimanche
25 août à 16 heures.

Au contraire. C’était un travail relaxant.
Traduire en data m’a permis de remettre
la réalité en perspective. Comme quand
je compare le coût de ma psychanalyse
avec le prix au mètre carré dans diffé-
rentes villes. Subitement, je prends
encore plus conscience de la valeur,
de l’importance de cette psychanalyse
dans ma vie. C’est bien plus parlant que
de dire que je me suis allongé sur le di-
van pendant dix ans, comme s’il s’agis-
sait aussi d’un espace concret que cela
a créé en moi. Et puis, cette manière de
procéder sous forme de cadastre m’a
permis de tourner la page, d’archiver
mon passé pour pouvoir me concentrer
sur la suite.


Espérez-vous faire des émules ?
Tout le monde peut faire l’exercice pour
soi. C’est une manière de se réapproprier
les datas dans un monde qui en produit
à la chaîne, souvent à ses dépens. On
pique à tout bout de champ nos datas
sans rien nous demander, autant que
je livre les informations que je choisis
moi-même. Je sélectionne ainsi mes
pudeurs car je ne suis pas obligé de tout
mettre. Et à la différence de l’utilisation
des données en Chine par exemple, où
l’on en vient à coter les individus, les da-
tas littéraires utilisent des chiffres précis
mais dans un but utopique : faire le por-
trait définitif d’un individu. C’est une
entreprise à la fois très rationnelle car
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