Le Vif L’Express N°3555 Du 22 Août 2019

(Barry) #1

23 AOÛT 1939 : Quand Léopold III


tenta de sauver l’Europe


LES COULISSES DE L’HISTOIRE VINCENT DELCORPS


Q


ue la conscience du monde se réveille.
Le pire peut encore être arrêté, mais le
temps presse. » Fière et belle, la voix ré-
sonne à travers tous les récepteurs du
royaume. C’est mercredi soir, et le roi
passe à la radio. Il parle de puissances
et de tension, de psychose et de catas-
trophe, de mort et d’effondrement.
Mais aussi de sagesse, d’ordre moral et
d’espoir. Dans une ultime tentative, il
livre un plaidoyer pour la paix. L’appel
est noble, vibrant, pressant. Vain aussi.
D’ailleurs, au fond de lui, Léopold sait la guerre
inévitable. Avis de tempête sur le continent.
En 1936, l’Allemagne a remilitarisé la Rhénanie.
En 1938, elle a annexé l’Autriche. En Belgique, on
a pris soin de rappeler l’indépendance du pays.
Mais c’est plus une mesure de précaution qu’un
gage de survie. La plupart des Belges en sont
conscients : si l’Europe brûle, ils n’échapperont
pas au désastre...
Le 8 août 1939, Léopold s’installe à son bureau et
sort sa plume. Il écrit à trois de ses oncles : Gustaf,
Christian et Charles, rois de Suède, du Danemark et
de Norvège. Il écrit aussi à sa cousine Wilhelmine,
reine des Pays-Bas. La famille est dispersée, mais
les liens demeurent. Et s’ils permettaient de sauver
la paix ? C’est le pari que fait Léopold. Les lettres se
ressemblent. Le roi des Belges lance l’idée d’une
réunion à Bruxelles qui rassemblerait les représen-
tants des pays neutres. « Je crois de mon devoir de
prendre l’initiative de ce geste », insiste le souve-
rain, qui entend créer une « vaste union morale »
apte à défendre les « aspirations de la masse de
l’humanité ». Le roi se montre optimiste : « Toute
résolution (que nous prendrions) ensemble aurait
quelque chance d’être respectée, puisqu’elle serait
forte de l’opinion de cent millions d’Européens. »
Léopold confie les missives à quelques nobles de
confiance ; en un jour ou deux, elles parviennent à
leurs hautes destinations.
Léopold III, monarque absolu ? Pas vraiment.
Certes, le roi est convaincu du prestige des têtes
couronnées. Il croit en l’influence des princes de

sang. Et il masque rarement son agacement à l’en-
contre des politiques. Il respecte toutefois l’ordre
constitutionnel : lorsque la conférence de Bruxelles
se dessine, c’est le gouvernement belge qui lance
les invitations officielles.
Le 23 août, la rencontre s’ouvre en grande
pompe. En plus des pays précités, la Finlande et
le Luxembourg sont représentés. Le soir, au Pa-
lais, un somptueux dîner est offert aux délégués.
A 20 heures, juste avant de passer à table, Léo-
pold prononce son discours radiodiffusé. Croit-il
la paix encore possible ? Probablement que non.
Pourquoi, autrement, l’essentiel des travaux de la
conférence aurait-il porté sur l’application d’une
politique économique... en temps de guerre ? L’ap-
pel ne sera d’ailleurs pas entendu. La France et la
Grande-Bretagne le jugent tardif ; l’Allemagne et
l’Italie l’ignorent. Quelques jours plus tard, Léopold
et Wilhelmine font encore offre de médiation aux
grandes puissances. A nouveau, sans succès. Le
roi aura fait son devoir. Plus, il ne pouvait pas. V

HULTON ARCHIVE/GETTY IMAGES

«


Un discours radiodiffusé
qui ne retardera pas
l’échéance.
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