Le Vif L’Express N°3555 Du 22 Août 2019

(Barry) #1

mains d’argent vingt ans avant Tim Bur‑
ton), d’un éventail corporel ou encore
de vêtements de plume, ces dispositifs
réorganisent le positionnement du
corps dans l’espace, réinventant ainsi
sa fonctionnalité. Qualifiées de « rituels
d’interaction » par la plasticienne, ces
performances chorégraphiées mènent
à une conscience élargie de soi. Sur
ce sujet, la série de performances fil‑
mées Berlin – exercices en neuf parties,
conduite entre le 10 novembre 1974 et le
28 janvier 1975, doit être vue. En parti‑
culier cette séquence où l’artiste donne
la réplique, en l’imitant, à un cacatoès
qui évolue librement dans son atelier.
Confronté à un univers humain, le vo‑
latile se découvre nu et inadapté. Il n’a
que ses pattes et son bec pour sonder un
territoire froid et hostile, tel ce miroir
qui lui renvoie une image dont il ne sait
que faire. Inutiles sont également ses
ailes, dans cette pièce où une vitre barre
obstinément toute possibilité de s’envo‑
ler. L’oiseau est à comprendre comme


une métaphore de notre condition  :
peu importe la maîtrise d’un environ‑
nement précis, une fois qu’on en sort,
nous sommes pareillement « cloués au
sol », « paralysés » dans une carapace
inadéquate.
En ce sens, les préoccupations de Re‑
becca Horn ne sont pas loin de celles
d’Antonin Artaud (1896 ‑ 1948). Tout
comme l’auteur du Théâtre et son
double, l’Allemande appréhende le
corps comme une machine désirante

dont le mouvement n’est pas fonction‑
nel mais obsessionnel. Pour elle aussi, il
est question de se libérer, à travers l’art,
de la conscience étroite qui est la nôtre
mais aussi des pulsions antagonistes
qui existent en nous. Ce flux perpétuel
d’énergie, porteur de forces opposées,
comme la tendresse et l’agressivité, se
découvre dans une vidéo où l’on voit
Horn se couper les cheveux avec deux
paires de ciseaux affûtés. Le specta‑
teur se crispe en écoutant le bruit sec
des lames qui flirtent dangereusement
avec les joues et les yeux de l’artiste. Une
leçon en découle : nous sommes à nous‑
mêmes notre plus grand danger mais
également notre planche de salut.
Le point fort de l’exposition consiste
à montrer la parenté qui existe entre
Horn et les courants dadaïstes et sur‑
réalistes. Illustrée par le biais de nom‑
breuses œuvres remarquables signées,
entre autres, par Claude Cahun, Max
Ernst, Hans Bellmer, Brancusi, Victor
Brauner ou la Suissesse Meret Oppen‑
heim, cette connexion témoigne d’une
même envie d’appréhender l’homme
par‑delà la rationalité, par‑delà ce dis‑
cours qu’il aime se raconter à lui‑même.
C’est flagrant : collages et associations
intempestives mènent l’art vers une per‑
ception élargie de soi aux effets libéra‑
teurs. A Metz, au fil des salles, on voit la
pratique de Rebecca Horn s’affranchir
jusqu’à prendre des accents messia‑
niques, qu’il s’agisse de cette Mariée
prussienne (1988) qui fait référence à
Duchamp, de ce Buisson ardent (2001)
réalisé avec des tuyaux en cuivre, ou de
ce Bee’s Planetary Map (1998) constitué
de paniers de paille et de miroirs brisés.
C’est de fusion qu’il est à chaque fois
question. Ces fusions (entre l’homme
et l’animal, entre l’homme et le monde,
entre l’homme et la femme...) s’ins‑
crivent dans un processus salutaire de
réinvention de l’identité. V
Rebecca Horn. Théâtre des
métamorphoses : au Centre Pompidou-
Metz, jusqu’au 13 janvier prochain.
http://www.centrepompidou-metz.fr

LES PRÉOCCUPATIONS
DE REBECCA HORN
NE SONT PAS LOIN
DE CELLES
D’ANTONIN ARTAUD.

Mechanischer Körperfächer, Achim Thode et Rebecca Horn, 1974-1975.

© ADAGP, PARIS
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