chants maternels que l’on perpétue en
s’adonnant aux travaux agricoles et
qui, le week-end venu, sont magnifiés
à l’église – quelle qu’elle soit – par une
chorale naturelle formée des 21 enfants
Bassy. « Dans ces villages, la musique
contribue toujours aux rituels du deuil
ou de la naissance : des musiciens/
chanteurs se trouvent “intronisés” pour
toute cérémonie. Ce n’est jamais ba-
nalisé. » Et puis, il y a également ce sé-
jour de plusieurs années chez cet oncle
« hypersévère » qui ne sourit jamais. « Il
ne supportait pas de nous voir inactifs
dans ce village sans électricité, où on
chassait et pêchait pour se nourrir. Avec
un rapport continu au “vivant”, que
ce soient les hommes, les plantes, les
herbes ou les arbres. » L’animisme au
quotidien se trouble un soir alors qu’un
vieux musicien voyageur, l’homme à la
guitare, vient jouer dans les environs.
« C’est la seule fois où j’ai vu mon oncle
esquisser un sourire », précise Blick
Bassy, toujours ému par ce moment
d’épiphanie qui lui fait entrevoir son
propre parcours dans la chanson.
iPhone 6
Tout cela percole évidemment dans le
parcours de Blick qui, après quelques
expériences au Cameroun, amène sa
musique en France où il s’installe en
- L’album 1958 est le résultat d’une
longue et lente digestion artistique et
politique, familiale et africaine, où, la
quarantaine venue, l’auteur jette les tur-
bulences passées dans une perspective.
« Oui, l’Afrique est compliquée, oui les
dirigeants africains sont couramment
corrompus mais à qui la faute ? Il ne faut
jamais oublier que le Cameroun, comme
la plupart des autres pays africains, est
le résultat d’un découpage occidental
et d’une mainmise de l’Occident sur les
richesses naturelles du continent noir.
Que ferait la France sans l’uranium du
Niger ou le pétrole d’autres pays ? Com-
ment, soixante ans après les indépen-
dances obtenues sur des paradigmes
qui ne nous appartiennent pas, vou-
lez-vous que tout fonctionne ? Même
si là, je pense que les changements vont
s’opérer à grande vitesse. »
La mondialisation redoutable n’em-
pêche pas certains beaux inattendus.
Par exemple lorsque à l’été 2015, le
morceau Kiki, extrait du troisième
et recommandé album de Blick, Akö,
rythme la campagne internationale
de l’iPhone 6. « Cela grâce au travail
de mes éditeurs, déclare Blick. Ce que
j’ai trouvé intéressant, c’est que cela
renforce d’une certaine manière ma
démarche, à savoir qu’il faut que les
musiciens africains s’affranchissent
des standards et soient eux-mêmes. Il
faut assumer nos larmes et nos tradi-
tions, et des choses inimaginables se
produiront, sans singer les Anglais ou
les Américains. Il faut assumer nos mu-
siques. » Surtout si elles transportent la
grâce. Chantée en langue bassa, l’une
des 309 du Cameroun, elle fait de 1958
un moment de suspension entre genres
et époques. Et peut-être bien l’album
le plus élégant,
toutes catégories
confondues, de - V
1958 chez
No Format/
Pias.
Blick Bassy : un album nourri par une longue histoire familiale et politique.
PHILIPPE CORNET