MondeLe - 2019-08-27

(Ron) #1

MARDI 27 AOÛT 2019 france| 11


Entre Macron et Berger, de la crise au mariage de raison


Longtemps mauvaises, les relations entre le chef de l’Etat et le patron de la CFDT semblent s’améliorer


C

hangement de ton à la
tête de la CFDT. Quand
il se présente devant
les journalistes avant la
trêve estivale, le 18 juillet, dans
l’aile Fontenoy du ministère de
la santé, Laurent Berger a rangé
les gants de boxe. Le secrétaire
général de la centrale cédétiste
vient d’écouter pendant plus de
deux heures le haut­commis­
saire chargé de la réforme des re­
traites, Jean­Paul Delevoye, dé­
voiler ses recommandations
pour le futur système universel.
Devant les micros tendus, Lau­
rent Berger salue le travail effec­
tué, vante un « système qui peut
permettre à ceux qui ont le moins
aujourd’hui en retraite d’avoir da­
vantage demain », se félicite que
la possibilité de partir dès 60 ans
soit préservée pour les carrières
longues ou que les droits fami­
liaux soient ouverts dès le pre­
mier enfant... S’il note que cer­
tains points, comme la pénibi­
lité, devront être « poussés », il
n’aborde pas de lui­même l’une
des questions les plus délicates,
celle d’un nouvel âge du taux
plein. Devant l’insistance des
médias, le leader de la CFDT finit
cependant par lâcher qu’il est
« totalement stupide de fixer un
âge de liquidation de la retraite
complète à 64 ans » identique
pour tous. Pour lui, il faut que
cette borne soit individualisée
comme c’est le cas aujourd’hui.
On est loin des mots très rudes
lâchés un mois plus tôt, à l’occa­
sion de la présentation, par le
premier ministre, Edouard Phi­
lippe, de la réforme de l’assuran­
ce­chômage qui durcit drastique­
ment les conditions d’indemni­
sation des demandeurs d’emploi.
A l’époque, Laurent Berger ne di­
gère pas ce choix. Le 21 juin, il
clame à la « une » de Libération :
« J’ai les nerfs. » Si les change­
ments appliqués à l’assurance­
chômage percutent son syndicat
dans ses valeurs, Laurent Berger,
qui publie en cette rentrée un li­
vre­manifeste, sait qu’il sera dif­
ficile de mobiliser sur cette ques­
tion. Il en va autrement pour les
retraites, un sujet qui revêt un
enjeu particulier pour la centrale
de Belleville, à Paris.

Lignes rouges
La CFDT est favorable de longue
date à un régime universel. Elle
est même l’une des rares organi­
sations syndicales à soutenir
dans son principe cette pro­
messe de campagne d’Emma­
nuel Macron. Et elle ne compte
pas laisser passer sa chance de
peser. Mais pas à n’importe quel
prix, souligne Laurent Berger. « Il
y a des lignes rouges, principale­
ment l’âge d’équilibre, confie­t­il
au Monde. S’il reste tel quel, ce
sera niet pour la CFDT, nous n’en
serons pas. »
Un message plus ferme qui
vaut pour l’exécutif mais aussi
en interne où le sujet est sensi­
ble. Le souvenir de 2003 reste
douloureux dans les rangs des
militants cédétistes : le soutien
de la CFDT à la réforme Fillon,
qui visait notamment à aligner
progressivement la durée de co­
tisation des fonctionnaires sur

celle des salariés, avait provoqué
une crise et le départ de plu­
sieurs milliers d’adhérents.
Cela explique sans doute aussi
pourquoi Laurent Berger a reven­
diqué comme une victoire de sa
confédération l’abandon de me­
sures d’économies sur les retrai­
tes dans le projet de loi de finan­
cement de la Sécurité sociale
(PLFSS) pour 2020, un temps en­
visagé en plus haut lieu. « Les mi­
litants n’auraient pas supporté
que la CFDT se couche sur le para­
métrique, ils n’auraient pas com­
pris, décrypte Jean­Marie Pernot,
politologue à l’Institut de recher­
ches économiques et sociales
(IRES). Ils sont prêts à accompa­
gner la réforme structurelle, mais
si tout cela devient trop défavora­
ble, ils pourraient aussi se cabrer. »
Ces dernières semaines, M. Ber­
ger a multiplié les mises en garde
contre un choix qu’il jugeait « in­
juste », d’autant que ces disposi­
tions auraient pu servir à finan­
cer autre chose que les retraites
comme la dépendance ou les me­
sures « gilets jaunes ». « Il ne serait
pas difficile d’enclencher une mo­
bilisation sur ce sujet », préve­
nait­il encore le 7 juillet dans
Ouest­France.

Arrogance de l’exécutif
A la CFDT, on est persuadé que
l’exécutif ira dans ce sens. Pour
ses dirigeants, l’épisode de l’assu­
rance­chômage n’est guère rassu­
rant à ce titre. « Depuis les euro­
péennes, ils marchent sur l’eau,
explique­t­on dans l’entourage de
M. Berger. Ils sont arrogants avec
tout le monde. Il y a chez eux un
cynisme jamais vu mais aussi un
sens tactique incroyable. » Le
18 juillet, devant les journalistes,
le leader cédétiste lui­même ex­
plique aux journalistes : « Il y a
une semaine, je n’aurais pas parié
devant vous qu’il n’y aurait pas de
mesures paramétriques dans le
PLFSS de 2020. »
Selon plusieurs sources bien in­
formées mais extérieures au
pouvoir en place, « c’est un arbi­
trage de l’Elysée contre Mati­
gnon ». « Il y avait une grosse op­
position entre les deux sur ce
point­là, poursuit l’une de ces
sources. Matignon n’a que le bud­
get en tête mais l’Elysée a su faire
pression. »
La porte­parole du gouverne­
ment, Sibeth Ndiaye, assure de
son côté que « le président de la
République et le premier ministre
ont pris cette décision ensemble et
sont assez vite tombés d’accord
pour trouver des voies de pas­
sage ». Car la CFDT n’était pas la
seule à être opposée à cette idée
risquée sur le plan social. C’était
aussi le cas des autres syndicats,
d’une partie de la majorité et sur­
tout de Jean­Paul Delevoye qui
estimait que cela pouvait mettre
en péril la réforme systémique
sur laquelle il travaille depuis
plus de dix­huit mois.
Mais au sommet de l’Etat, on
ne souhaite pas contredire la lec­
ture faite par le successeur de
François Chérèque, qu’il s’agit
désormais de conforter. « C’est
une victoire de la CFDT, affirme
un membre du gouvernement.
Pour Berger, la mère des réfor­

mes, c’est les retraites, le message
a été reçu cinq sur cinq. »
Depuis plusieurs mois, le secré­
taire général de la centrale cédé­
tiste ne cachait pas son agace­
ment de voir les partenaires so­
ciaux considérés comme
quantité négligeable par le pou­
voir. « Sous le précédent quin­
quennat, la CFDT avait une posi­
tion privilégiée, elle a notamment
inspiré la loi El Khomri, rappelle
Guy Groux, chercheur au Cevi­
pof. Le rapport de Macron aux
syndicats, notamment à la CFDT,
n’est pas celui­là. Sa vision mêle
un certain libéralisme à une vi­
sion assez étatique de la chose. »
Lors de la crise des « gilets jau­
nes », les mains tendues de Lau­
rent Berger n’ont pas été saisies
par l’exécutif et son « pacte du
pouvoir de vivre », élaboré avec
Nicolas Hulot, a été fraîchement
accueilli. En avril, un déjeuner en­
tre le chef de l’Etat et le numéro
un de la CFDT à l’Elysée a permis
aux deux hommes d’avoir une

« discussion franche ». Depuis, la
mobilisation générale a été dé­
crétée au sommet de l’Etat pour
l’acte II du quinquennat.

« Discussion franche »
Dans l’entourage d’Emmanuel
Macron, on assure avoir entendu
les préventions de Laurent Ber­
ger. « Si le président a décidé de
changer de méthode pour l’acte II
de son quinquennat, c’est la
preuve que la CFDT avait raison et
a été entendue », assure un visi­
teur du soir du chef de l’Etat, qui
affirme que « les relations sont
plus fluides aujourd’hui » avec le
leader de la centrale réformiste.
« Nous avons des échanges conti­
nuels avec la CFDT, abonde­t­on à
Matignon. Cela ne veut pas dire
que nous devons être d’accord sur
tout, nous pouvons avoir des dé­
saccords sur des points de détail.
Mais nous devons pouvoir discu­
ter. C’est au gouvernement de
concilier les contraintes et de gar­
der le dialogue ouvert. »

Pour certains, Emmanuel Ma­
cron et Laurent Berger n’ont de
toute façon pas d’autre choix que
de s’entendre. « Il y a une symé­
trie entre l’exercice du pouvoir du
président et celui de Berger : tous
les deux font face à un désert, po­
litique et syndical. Ce n’est simple
ni pour l’un ni pour l’autre. Ils ont
tous les deux besoin qu’il y ait da­
vantage d’engagement, dans les
associations, dans les partis, dans
les syndicats », estime un con­
seiller du chef de l’Etat.

C’est d’autant plus vrai sur un
dossier comme les retraites. Si le
secrétaire général de la CFDT
veut voir aboutir l’une de ses
principales revendications – la
mise en œuvre d’un système
universel –, il sera difficile pour
l’exécutif, étant donné le nom­
bre de sujets minés que com­
porte cette réforme, de porter
seul ce que Jean­Paul Delevoye
définit comme « un projet de so­
ciété ». Pour Raymond Soubie,
ex­conseiller social de Nicolas
Sarkozy, c’est clair : la CFDT est
« le principal allié objectif » du
pouvoir. « Nous avons besoin
d’avoir quelqu’un avec qui parler,
reconnaît un membre du gou­
vernement. Je ne dis pas que le
chemin est pavé de roses avec la
CFDT mais on a une accroche de
discussion. » Un fil ténu, suscep­
tible de rompre à tout instant,
mais qui n’avait pas été tissé de­
puis longtemps.
raphaëlle besse desmoulières
et cédric pietralunga

« Sous le
précédent
quinquennat,
la CFDT avait
une position
privilégiée »
GUY GROUX
chercheur au Cevipof

Un « appel à se mobiliser »


« Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès. » C’est
sous les auspices de Nelson Mandela que Laurent Berger a décidé
de lancer son « appel à se mobiliser » : Syndiquez-vous! L’ouvrage,
coécrit avec l’ancien journaliste Claude Sérillon, paru le 22 août aux
éditions du Cherche-Midi, invite chacun à s’engager « pour que la
justice sociale progresse et [pour] inventer une nouvelle manière de
vivre au travail ». Pour le secrétaire général de la CFDT, pas question
de « théoriser le syndicalisme », mais de convaincre en livrant un « té-
moignage humain, des faits, une envie forte de collectif ». M. Berger y
évoque son « terreau » familial : son père délégué CFDT aux chan-
tiers de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), sa mère représentante du
personnel CFDT à la mairie de la ville... Il décrit ses « valeurs », son
goût de la négociation avec le patron, qui « n’est pas l’ennemi », et
rappelle – à M. Macron peut-être – que, « pour ne pas sombrer dans
le binaire, nous avons besoin d’une démocratie sociale avec des ac-
teurs associatifs, syndicaux, qui portent l’intérêt collectif ».

DeBonneville-Orlandini

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©
Eliot

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