26 | 0123 MARDI 27 AOÛT 2019
Q
ue Donald Trump
s’inquiète du ralentis
sement de l’écono
mie américaine peut
se comprendre. Sa
réélection en 2020 est en grande
partie dépendante de la progres
sion du PIB et de celle de Wall
Street. Mais, il y a quelques jours,
le président américain a intimé à
la Réserve fédérale (Fed) de s’ali
gner sur la politique monétaire de
la Banque centrale européenne
pour sauvegarder à tout prix la
compétitivité américaine et con
trer les excédents commerciaux
allemands. Comment imaginer
une parité des taux d’intérêt des
deux côtés de l’Atlantique, alors
que l’économie américaine a crû à
un rythme de 2,1 % au deuxième
trimestre, quand celle de l’Allema
gne s’est contractée de 0,1 %?
Donald Trump n’a toujours pas
apporté de réponse au paradoxe
que soustendent ses prises de po
sition : pourquoi vouloir stimuler
davantage son économie, alors
qu’il affirme que celleci ne s’est ja
mais aussi bien portée? En fait, les
EtatsUnis sont confrontés à deux
problèmes que le président a lui
même générés. Le premier est que
la croissance actuelle a été obte
nue de façon artificielle au prix
d’un creusement historique du
déficit budgétaire, qui tutoie
désormais les 1 000 milliards de
dollars (900 milliards d’euros), le
double du niveau atteint la der
nière année du second mandat de
Barack Obama.
Le second réside dans les risques
que fait courir la guerre commer
ciale avec la Chine. « Alors que la
politique monétaire est un outil
puissant qui marche pour soutenir
les dépenses de consommation, les
investissements des entreprises et
la confiance des consommateurs,
elle ne peut pas fournir de règles
bien établies pour le commerce in
ternational », lui a rétorqué le pré
sident de la Fed, Jerome Powell,
lors du symposium de Jackson
Hole, le 23 août.
Galvanisé par son élection
en 2016, Donald Trump a sombré
dans un dirigisme qui est aux anti
podes de ce que l’Amérique repré
sente dans l’imaginaire collectif et
a fini par croire qu’il pouvait avoir
raison contre tout le monde.
« C’est incroyable que [la Fed] s’ex
prime sans savoir ou demander ce
que je fais. Ma seule question est
qui est notre plus grand ennemi :
Jay Powell ou le président Xi? », a ré
pondu le président américain. Il y
a quelques jours, il n’a pas hésité à
affirmer que le Wall Street Journal
« ne comprend rien au commerce
ni aux affaires », sous prétexte que
la bible des marchés financiers de
vient de plus en plus critique visà
vis de sa guerre commerciale.
Croire qu’on est en permanence
dans le vrai oblige à multiplier les
contradictions et les reculades. Il y
a un peu plus d’un an, il avait af
firmé de façon péremptoire que
« les guerres commerciales sont
bonnes et faciles à remporter ». La
plupart des observateurs pen
saient le contraire. Les faits leur
donnent aujourd’hui raison, obli
geant Donald Trump à en rabattre
piteusement : « Je n’ai jamais dit
que ce serait facile avec la Chine »,
atil reconnu, il y a quelques jours.
Postvérité quand tu nous tiens.
Après avoir expliqué que les
taxes à l’importation de produits
chinois vers les EtatsUnis
n’auraient aucun impact pour le
portefeuille des consommateurs
américains, il avait pourtant dé
cidé il y a quelques jours – au cas
où – de différer leur entrée en vi
gueur « pour qu’elles n’aient pas
d’influence sur les fêtes de fin
d’année ». Et, pour le Nouvel An
chinois, quelle sera la politique
commerciale des EtatsUnis?
Quand on décide de partir à la
guerre, on ne doit plus se préoc
cuper du calendrier des fêtes.
C’est ce que fait la Chine, qui
n’hésite pas à rendre coup pour
coup. Le 23 août, Pékin a annoncé
de nouvelles mesures de rétorsion
contre Washington. Pris par sur
prise, le président est désormais
acculé à une dangereuse escalade,
avec une nouvelle salve de taxes à
l’importation – tout compte fait,
pour Thanksgiving, les familles
américaines devraient apporter
leur contribution à l’effort de
guerre commerciale, qu’importe –
et en demandant carrément aux
entreprises américaines d’arrêter
de faire des affaires en Chine.
Qu’en pense Apple, dont 50 % des
iPhone sont fabriqués en Chine,
ou encore General Motors, qui y a
vendu 1,5 million de voitures au
premier semestre?
Point de non-retour
Il y a un an, certains économistes
relativisaient la réalité concrète de
la guerre commerciale. Désor
mais, nous sommes au bord de
l’emballement et du point de non
retour, tandis que les rodomonta
des de Donald Trump ont finale
ment provoqué plus de désordre
qu’elles n’ont résolu de problèmes.
Wall Street est à cran, réagissant
assez violemment à chaque fois
que les solutions s’éloignent dans
ce conflit commercial. Alors que
celuici était censé faire revenir les
emplois industriels aux Etats
Unis, les indices de production
manufacturière sont en train de
plonger. La patrie du libéralisme
économique est aujourd’hui obli
gée de subventionner une large
part de son agriculture, qui est
déstabilisée par la chute des ex
portations vers la Chine. Elle or
donne à ses entrepreneurs de faire
des affaires dans telle ou telle par
tie du monde et contraint ses con
sommateurs à payer un impôt de
fait sur quantité de produits que
les EtatsUnis sont incapables de
fabriquer. Quant au déficit com
mercial américain, il n’a jamais été
aussi élevé, prouvant que le désé
quilibre n’est pas tant dû au fait
que les EtatsUnis achètent trop à
la Chine et lui vendent peu, mais à
la faiblesse de l’épargne des Amé
ricains par rapport à leur propen
sion à consommer.
Malgré les fanfaronnades de Do
nald Trump sur la prospérité de
l’économie américaine, trois Amé
ricains sur cinq se disent préoccu
pés par les perspectives économi
ques, selon une enquête réalisée
en août par SurveyMonkey pour le
New York Times. Seulement un
tiers d’entre eux estiment que leur
situation financière s’est amélio
rée au cours des douze derniers
mois. Xi Jinping a la vie devant lui,
tandis que Donald Trump n’a
qu’une petite année pour démon
trer aux Américains qu’il s’y con
naît mieux que tout le monde en
économie et que son dirigisme a
malgré tout des vertus.
L
a politique étrangère de Donald
Trump – pour autant qu’on puisse la
déterminer – est essentiellement
destinée, diton, à soigner son électorat.
Emmanuel Macron présente, depuis sa
medi 25 août, à Biarritz, où il accueille le
sommet du G7, une variante plus subtile
mais tout aussi efficace de cette stratégie :
l’audace et le volontarisme avec lesquels le
président français anime cette réunion in
ternationale devraient, sauf imprévu au
troisième et dernier jour du sommet, lundi,
lui permettre de renforcer sa position sur la
scène intérieure.
« L’agenda international est indissociable
de l’agenda français », a fait valoir M. Ma
cron, le 21 août, devant l’Association de la
presse présidentielle, qu’il a longuement
reçue pour lui expliquer, précisément, les
enjeux des grandes tensions mondiales ac
tuelles. A la veille d’une rentrée politique et
sociale délicate et chargée, le président se
sert de son action diplomatique comme
d’un levier, dans le prolongement des pré
occupations des Français.
La France ayant cette année la présidence
tournante du G7, M. Macron avait le choix
du lieu et une latitude sur l’ordre du jour
qu’il a exploitée au mieux. L’actualité l’a
servi : en tirant dès jeudi le signal d’alarme
sur le drame de la forêt amazonienne, il a
imposé d’entrée de jeu le climat comme
l’une des priorités du sommet. Puis, en me
naçant le président brésilien, Jair Bolso
naro, de ne pas ratifier le traité commercial
EUMercosur, qu’il avait vanté au G20
d’Osaka, mais qui est très critiqué en
France, il a désamorcé les oppositions in
ternes. Emmanuel Macron a enfin vigou
reusement défendu l’idée d’une croissance
plus inclusive et d’une relance budgétaire
par les pays qui en ont les moyens.
Le président est ainsi monté en première
ligne à Biarritz sur trois sujets particulière
ment sensibles dans l’opinion publique
française : l’écologie, le libreéchange et les
inégalités. Et, en choisissant d’expliquer di
rectement aux Français, à la télévision, à
l’ouverture et à la clôture du G7, la politique
qu’il y mène « en leur nom », il cherche à dé
passer l’image de cénacle fermé de ces som
mets diplomatiques.
Sur le fond, le chef de l’Etat se pose en lea
der d’une puissance moyenne qui veut pe
ser sur la scène internationale au nom de
l’Europe. A Brégançon (Var) le 19 août, il a
accueilli Vladimir Poutine pour poser la
question de la place de la Russie à la veille
du G7 et relancer le sujet de l’Ukraine. A
Biarritz, il a « géré » Donald Trump de telle
façon que le président américain n’a cessé
de tweeter sa satisfaction depuis son arri
vée sur la côte basque. Et, lorsqu’il a orga
nisé l’invitation au débotté du ministre ira
nien des affaires étrangères, Mohammad
Zarif, qui a atterri, samedi aprèsmidi à
Biarritz, à la surprise générale, pour s’entre
tenir avec les Européens, les Américains,
dûment briefés, n’ont pas osé protester.
Qu’a obtenu M. Macron, dans cette fréné
sie diplomatique? Pour l’instant, rien de
décisif, peuton faire valoir. Mais le G7, qui
s’annonçait au pire comme catastrophi
que, au mieux comme inutile, s’est trans
formé en une réunion où les dirigeants ont
pu dialoguer sans heurt, y compris sur
leurs nombreuses divergences. Des leaders
de pays émergents ont été associés à ce
club de riches. Surtout, Donald Trump s’est
vu imposer un agenda européen dominé
par le climat, l’Iran, la fiscalité internatio
nale. Sur plusieurs dossiers, Boris Johnson,
le remuant premier ministre britannique,
est resté dans le camp européen. A l’heure
du Brexit, ce n’est pas passé inaperçu.
GALVANISÉ PAR SON
ÉLECTION, TRUMP
A FINI PAR CROIRE
QU’IL POUVAIT AVOIR
RAISON CONTRE
TOUT LE MONDE
ÉCONOMIE|CHRONIQUE
pa r s t é p h a n e l au e r
Donald Trump,
dirigiste en chef
LA PATRIE DU
LIBÉRALISME ORDONNE
À SES ENTREPRENEURS
DE FAIRE DES AFFAIRES
DANS TELLE PARTIE
DU MONDE
Tirage du Monde daté dimanche 25 lundi 26 août : 210 785 exemplaires
MACRON :
L’AUDACE
COMME LEVIER
DIPLOMATIQUE
À l’échelle de la planète, la Méditerranée n’est qu’un confetti. C’est pourtant sur
ses rives que les grandes pages de l’Histoire universelle se sont écrites. Passerelle
entre l’Orient et l’Occident, la Grande Bleue fut une mer d’aventure, celle des
marins et pirates grecs, phéniciens ou étrusques, des conquérants romains et
musulmans... Elle a vu s’affronter des empires, connu les bouleversements
coloniaux, et reste au cœur de l’actualité avec les drames des migrations.
Les meilleurs spécialistes vous embarquent dans une extraordinaire odyssée
méditerranéenne, avec des cartes originales et des documents exceptionnels.
L’HISTOIRE
DE LA
MÉDITERRANÉE
HORS-SÉRIE
Un hors-série - 188 pages - 12 €
Chez votre marchand de journaux
L’HISTOIREDE LA MÉDITERRANÉE