Sud Ouest Sud-Gironde - 2019-08-23

(Romina) #1

Vendredi 23 août 2019SUD OUEST


Un été Sud-Ouest


Carnets de route


Valérie Deymes
[email protected]


P


aul ne cache pas son ex-
citation. Le petit garçon
âgé de neuf ans imagine
bien rentrer ce soir à la
maison, tel un cow-boy
de la première heure, les poches
remplies... d’or. Ce n’est pas la va-
leur que ça représenterait qui le
fait rêver mais bel et bien l’aven-
ture qui va le transformer, le temps
d’une après-midi, en véritable
chercheur du métal précieux. Paul
est venu à Jumilhac-le-Grand, avec
sa mamie depuis le département
voisin, de la Haute-Vienne, Saint-Ju-
lien-le-Petit exactement. Il n’est pas
le seul. Devant l’office de tourisme
de la commune, face au château
monumental, un petit attroupe-
ment d’une quinzaine de person-
nes s’est formé en ce tout début
d’après-midi du mois d’août. Des
Bretons, une famille de Belges, un
couple originaire de l’Oise, une
maman et sa fille de Salon-de-Pro-
vence et un papa et son grand gar-
çon du Var. Tous attendent Phi-
lippe pour leur stage de trois heu-
res d’orpaillage.


L’âge d’or du coin
Un stage dont on sait que les dé-
couvertes ne permettront pas de
nourrir la famille pour les vingt ans
à venir mais qui alimente néan-
moins les fantasmes et fait glousser
les futurs participants. Et pour-
tant... « Quand j’étais petit, j’habitais
juste à côté en Haute-Vienne, pas
loin du Chalard et mon père m’a
montré la galerie d’or. J’ai été telle-
ment impressionné que je me
suis juré : quand je serai grand, je se-
rai chercheur d’or. Et c’est ce que
je suis devenu. »
L’assistance est un peu scotchée.
Paul n’en revient pas. Philippe, le
monsieur qui va animer le stage
d’orpaillage est un vrai! « J’ai tra-
vaillé vingt ans, de 1983 à 2002,
dans les mines du Bourneix (Le
Chalard) et j’ai exploré toutes les
facettes du métier, débutant
comme mineur du fond pour fi-
nir responsable de la qualité de la
production après relevés géologi-
ques et échantillonnage des ro-
ches. Après 2002, je me suis instal-
lé à mon compte. Et je fais parta-
ger ma passion. »
Et en la matière le quinquagé-
naire n’est pas avare. Ce sont des
pépites d’un autre genre qu’il lâ-


che dans la première demi-heure,
celles d’une histoire de l’âge d’or
d’un périmètre englobant cette
partie du Nord-Est de la Dordogne
et la Haute-Vienne qui l’embrasse.
Les apprentis, impatients, ap-
prennent ainsi que le filon s’est for-
mé il y a 300 millions d’années et
qu’ils ont été précédés en
530 avant JC, par leurs ancêtres les
Celtes avant que les Romains ne
les balaient, leur extraction avec.
La deuxième partition locale s’est
jouée au XIXe, sans grande enver-
gure avec 7,5 tonnes d’or dans le
panier, et la troisième de 1983 à
2002 : 28 tonnes extraites. Puis c’est
le baisser de rideau. Le filon s’est
épuisé, les mineurs aussi.

« À l’époque où je travaillais dans
la mine, le gisement ici était de 10
grammes par tonne de roche. Au-
jourd’hui, il n’y a plus rien ou pres-
que. Car les rivières recèlent non
des pépites mais des petits trésors :
des paillettes d’or, des grenats, des
pierres semi-précieuses, du titane,
etc. C’est une activité de loisir ré-
glementée, il convient de le rappe-
ler car, avec toutes ces émissions
de téléréalité sur des chercheurs
d’or du fin fond de l’Australie, on
voit se multiplier des comporte-
ments délirants qui ne respectent
pas l’environnement, ni les sites de
reproduction des espèces des
cours d’eau et rivières... » C’est dit.

Inoxydable et ductile
Tiens d’ailleurs, pourquoi ce métal
donne-t-il la fièvre à la plupart de

ceux qui le traquent? « Parce qu’il
est rare? » lâche une maman dans
l’assistance, tandis que Philippe
fait passer la copie conforme d’un
lingot de 1 kilo dont la valeur réelle
serait de 42 000 euros. « C’est sur-
tout parce qu’il est inaltérable, in-
oxydable. Parce qu’il est malléable
et particulièrement ductile. Avec
1 gramme d’or, on peut réaliser un
filament qui va jusqu’à... 3 km
d’un seul tenant. De plus, il a une
densité de 19,3 g par cm³. Autre-
ment dit, si on remplissait une
bouteille d’eau d’un litre d’or, elle
pèserait 19,3 kg. » Paul pèse à peine
quelques petits kilos de plus... Il
écarquille les yeux. Bon, c’est bien
gentil tout ça, mais on passe
quand à la pratique?
« De suite. Ici, dans l’Isle. » En con-
trebas du château de Jumilhac. Le
chef d’orchestre de cette séance
d’orpaillage distribue pelles, tamis

et batées, ces récipients en forme
de chapeau de chinois. Philippe
fait une petite démonstration :
« On creuse dans le lit de la rivière.
Car souvenez-vous, l’or est très
lourd, il ne reste donc pas en sur-
face. Vous voyez le fond est noir. Il
y a de l’argile, ça a donc sédimenté,
on est sur la bonne voie. On verse
la pelletée dans le tamis au-dessus
de la batée. Les pierres les plus vo-
lumineuses ne passeront pas. En-
suite, on secoue énergiquement le
récipient conique et ce, à plusieurs
reprises, en le remplissant d’eau
afin que les particules les plus lé-
gères soient balayées. Il ne reste
alors que les grenats, un peu de ti-
tane et là regardez, les paillettes! »
Le professionnel verse sa récolte
dans des petits tubes transparents
remplis d’eau. Ses apprentis lor-
gnent les reflets et sont pressés
d’en découdre. C’est parti! On

creuse, on tamise, on secoue la ba-
tée. Paul crie d’entrée victoire, il est
sûr d’avoir vu une pépite lui glisser
entre les doigts. « Tout ce qui brille
n’est pas or... », rappelle Philippe.
Romane, douze ans, est sur un
bon filon. Le fond de son petit tube
brille de mille feux! Les Belges ont
le coup de main même si la « pê-
che » ne semble pas très fruc-
tueuse. On s’entraide, on fait con-
naissance. On découvre que cher-
cher l’or peut être un « travail »
d’équipe. Deux heures plus tard, la
petite troupe quitte les lieux, le dos
cassé, le sourire béa et, les poches
encore bien légères. Mais l’après-
midi a été riche...

Le Limousin et la partie Nord-Est du Périgord


ont un passé commun lié à l’or. À Jumilhac-


le-Grand, le vacancier peut s’initier


à l’orpaillage avec un vrai chercheur d’or


Chercheurs d’or, les pieds


dans l’Isle aux trésors


On peut chercher de l’or avec un spécialiste, quel que soit son âge. La fièvre touche toutes
les générations. PHOTO STÉPHANE KLEIN/«SUD OUEST »

Les rivières recèlent
non des pépites mais
des petits trésors :
paillettes d’or,
pierres semi-
précieuses

Périgueux

Angoulême
Nontron

Jumilhac-le-Grand

N

D

sud ouest.fr
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Voici la fin de notre série,
Les Carnets de route.
Belle RENTRÉE à tous.

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