Temps - 2019-08-27

(Martin Jones) #1
LE TEMPS MARDI 27 AOÛT 2019

18 Sport


LAURENT FAVRE
t @LaurentFavre


Avoir plusieurs cavaliers de
haut niveau ne garantit pas la vic-
toire par équipe mais offre plus
de chances de briller en indivi-
duel. A Rotterdam, aux Cham-
pionnats d’Europe de saut d’obs-
tacles, la Suisse a rapidement
oublié sa déception de vendredi
dans l’épreuve collective (sixième
place, la médaille d’or pour la Bel-
gique) en fêtant le titre individuel
de Martin Fuchs. Un double sans-
faute dimanche (un seul point de
pénalité pour dépassement de
temps) permettait au Zurichois
(27 ans) de devancer l’Anglais Ben
Maher et le Belge Jos Verlooy.
Il s’agit du premier grand titre de
la jeune carrière de Martin Fuchs,
deuxième l’an dernier aux Jeux
équestres mondiaux à Tryon, et
deuxième encore de la finale de la
Coupe du monde en avril dernier
à Göteborg. Si l’équitation helvé-
tique totalise quatre titres euro-
péens par équipe (1983, 1993, 1995,
2009), Martin Fuchs n’est que le
deuxième Suisse sacré champion
d’Europe, vingt-six ans après Willi
Melliger en 1993 à Gijon. Il fit le
lien sur le podium, au point d’être
ému aux larmes. Melliger, décédé
subitement en janvier 2018 à
64 ans, était son parrain.


Une famille en or
En équitation, l’ascendance n’est
pas importante que pour les che-
vaux. Comme celui des Pessoa
au Brésil (Nelson et Rodrigo),
Rozier en France (Marcel, Phi-
lippe et Thierry), Whitaker en
Grande-Bretagne (Paul, Michael
et Ellen) ou Guerdat dans le Jura
(Philippe et Steve), le nom des
Fuchs brille depuis des lustres
dans le monde hippique. Martin
Fuchs est le digne héritier de ces
familles de cavaliers qui se boni-
fient au fil des générations.
Il est le fils cadet de Thomas
Fuchs, triple champion d’Eu-
rope par équipe (1983, 1993,
1995), presque plus connu


aujourd’hui pour être l’un des
meilleurs entraîneurs du monde,
un talent dont il fait également
profiter Steve Guerdat. La mère
de Martin, Renata, fut elle aussi
une très bonne cavalière, cham-
pionne de Suisse en 1990. Son
oncle Markus cumule lui aussi les

places d’honneur aux Champion-
nats d’Europe (cinq médailles
par équipe). Il figurait au tour-
nant du siècle parmi les meil-
leurs cavaliers du monde grâce
à Tinka’s Boy, son meilleur che-
val. Médaillé d’argent aux Cham-
pionnats d’Europe de Hickstead

en 1999, vice-champion olym-
pique par équipe à Sydney en
2000, il remporte la finale de la
Coupe du monde en 2001 à Göte-
borg. Ses deux fils n’ayant pas
persévéré, lui aussi a prodigué
ses conseils à Martin. Il ne fau-
drait pas oublier le grand-père,
Mathias, aujourd’hui décédé,
ancien agriculteur devenu éle-
veur, qui a créé les écuries fami-
liales à Bietenholz (ZH) et lancé
le négoce de chevaux qui a per-
mis de financer les carrières de
ses deux fils et de son petit-fils.
«A la fin de sa vie, il ne vivait plus
que pour Martin. Il lui a beau-

coup apporté», soulignait Renata
Fuchs au Temps en 2012.
Martin Fuchs a profité très jeune
de tout cela, l’amour des chevaux,
le réseau, les installations, l’ex-
pertise, et même l’expérience
des erreurs à ne pas refaire. Trop
proches de son frère aîné Adrian
(au point de le dégoûter), ses
parents lui ont lâché la bride, le
laissant notamment monter dans
un autre manège. Talent égale-
ment précoce, l’oncle Markus l’a
affranchi des pièges d’une gloire
trop rapide. Comme Steve Guerdat,
il a su faire fructifier son don natu-
rel et ceux issus de ses origines,

trouvant le bon équilibre entre
éthique de travail et ambition.

Un précieux mécène
Aujourd’hui, le vrai plus de
Fuchs, c’est Clooney, lauréat en
janvier dernier, en marge du
CSI-W de Bâle, du trophée du
«cheval suisse de l’année». Son
propriétaire, Luigi Baleri, a lui
été désigné propriétaire de l’an-
née 2018 par le Jumping Owners
Club. Martin Fuchs monte aussi
son autre crack, Chaplin. Entre
le propriétaire et le cavalier, l’en-
tente est parfaite. «Quand Mar-
tin ou Thomas me disent: «C’est
celui-là!», alors je l’achète»,
résume-t-il sobrement leur col-
laboration. En 2017, lors du
concours de Genève, Martin
Fuchs l’avertit que Clooney ris-
quait d’être vendu aux Etats-
Unis, où était déjà parti Pacific des
Essarts, offert par Bill Gates à sa
fille Jessica. Luigi Baleri acheta
donc Clooney, permettant à Mar-
tin Fuchs d’avoir un cheval à la
hauteur de son talent.
Dimanche, le tout frais cham-
pion d’Europe remercia chaleu-
reusement son mécène. «Il a tou-
jours été d’un grand soutien pour
moi et il est presque comme un
second père. En juniors, il m’ame-
nait déjà à des concours.»
Ce résultat confirme qu’avec
Martin Fuchs et Steve Guerdat, la
Suisse possède deux des tout meil-
leurs cavaliers mondiaux. «Je crois
que tous les pays aimeraient les
avoir dans leur équipe», relevait
sans forfanterie le chef d’équipe
Andy Kistler début août à Dublin.
Comme l’épreuve olympique par
équipe se dispute désormais avec
trois cavaliers seulement (et non
plus quatre, mais tous les résul-
tats sont pris en compte), il suf-
fit à la Suisse de trouver un troi-
sième cavalier de confiance. Ce
pourrait être Paul Estermann,
Niklaus Rutschi, Beat Mändli ou
Janika Sprunger. Avec pour l’élu(e)
le redoutable privilège d’être l’élé-
ment décisif de l’échec ou de la
réussite de l’opération médaille. n

Dimanche à Rotterdam, Martin Fuchs a réussi un double sans-faute sur Clooney, «cheval suisse de l’année». (DEAN MOUHTAROPOULOS/GETTY IMAGES FOR FEI)

Martin Fuchs, perspective cavalière

ÉQUITATION Champion d’Europe de saut d’obstacles dimanche à Rotterdam, le Zurichois possède déjà un palmarès impressionnant


à 27 ans. Une précocité qu’il doit à ses origines familiales et qui augurent le meilleur pour l’équipe de Suisse


Lorsqu’ils jouaient tous
ensemble sous le même maillot,
les Yougoslaves étaient les «Bré-
siliens de l’Europe» et le «Mara-
kana» de Belgrade portait bien
son surnom. De cette époque
mythique, lointaine et évaporée,
il ne subsiste aujourd’hui qu’un
vieux stade à demi enterré, à
moitié assoupi, qui, les grands
soirs, se réveille, gronde, fait fris-
sonner les uns et tressaillir les
autres.
Young Boys aura les honneurs
d’une réception à l’ancienne, ce
mardi en barrage retour de la
Ligue des champions. Parce
qu’il est une réminiscence du
football «d’avant», les joueurs
bernois espèrent autant qu’ils
le redoutent goûter ce brûlant
privilège d’un autre temps. A
l’aller, mercredi 21  août au
Wankdorf (2-2), ils en ont eu un
avant-goût. Aux 2000 suppor-
ters officiels de l’Etoile Rouge
venus de Belgrade s’étaient
agglomérés quelques milliers
d’autres, Serbes de Suisse, venus
respirer l’air du pays. Ceux qui
étaient assis au milieu des sup-

porters bernois se levèrent et se
rapprochèrent du virage où
étaient entassés les Delije (les
«Braves»), arrachèrent le tissu
noir qui maintenait un illusoire
no man’s land, et vinrent s’agglu-
tiner aux ultras, comme on se
rapproche d’un feu la soirée à la
veillée. Aucun Securitas n’eut le
cœur de s’interposer.

Puissant aimant à nostalgie
Il en est ainsi de l’Etoile Rouge.
Même tombé dans le rang, le
champion d’Europe 1991
demeure un puissant aimant
pour les nostalgiques qui ché-
rissent une certaine idée du foot-
ball et de la Serbie. Mais le pro-
blème, souvent, avec les
supporters, c’est que ce qui est
très fort et vibrant de loin devient
nettement moins romantique vu
de près. Sur le chemin qui les
menait de la gare au stade, les
Delije firent de cette procession
une démonstration de force.
Le bilan des plaintes et dégra-
dations constatées par la police
bernoise le lendemain recensait
assez bien l’éventail de leurs
obsessions: un kiosque vandalisé
et vidé de ses bières, une terrasse
de bistrot attaquée parce qu’y
flottait le drapeau arc-en-ciel de
la communauté LGBT, une
façade d’immeuble souillée en

réponse à une «provocation
kosovare», une commerçante
tamoule insultée, un local d’in-
jection assailli et un «dealer de
drogue» passé à tabac.

Fascination trouble
Comme partout, ces exactions
sont le fait d’une minorité. Mais
à Belgrade, elles font partie de la
sulfureuse histoire de l’Etoile
Rouge, et ce lugubre cortège de
nationalisme, de xénophobie et
d’homophobie continue de nour-
rir la fascination trouble des
Delije. Celle-ci est contempo-
raine des grandes heures du
club.
Au début des années 1990, alors
que Crvena Zvevda (Etoile Rouge)
aligne des joueurs de classe mon-
diale, c’est dit-on une bagarre
avant une finale contre le
Dynamo Zagreb qui fait exploser
la poudrière des Balkans. Le
héros croate s’appelle Zvonimir
Boban, jeune capitaine du
Dynamo; le héros serbe se
nomme Arkan, dit «le Tigre»,
milicien infiltré au sein des
ultras, puis chef de guerre, puis
chef mafieux. Avant même de
rentrer à Belgrade, les Delije ont
revendiqué leurs faits d’armes
bernois sur les réseaux sociaux.
Selon Courrier international,
leurs exploits attirent des hooli-

gans des pays balkaniques voi-
sins, de Grèce et de Russie, tous
soucieux de s’étalonner face à la
référence du genre.
Ce contexte pèse sur l’équipe
adverse et l’Etoile Rouge en joue.
Questionné sur les incidents du
match aller, l’entraîneur Vladan
Milojevic se borna à répéter:
«Nous sommes fiers de nos sup-
porters.» Aux joueurs de Young
Boys de ne pas se laisser impres-
sionner. Ils ne seraient pas les
premiers: Liverpool, l’an passé,
y a perdu en phase de poule de
la Ligue des champions (2-0), et
ces dernières années, seuls Arse-
nal et le PSG sont venus y gagner.
Si elle n’a plus accompli d’ex-
ploits en Coupe d’Europe, l’Etoile
Rouge reste très difficile à
manœuvrer chez elle.

Une pelouse accueillante
Il y a deux ans, Thomas Sören-
sen y avait perdu avec Cologne
en Europa League. La nouvelle
recrue de YB a parlé à ses coéqui-
piers des sentiments ambiva-
lents, mêlés d’appréhension,
avant, et d’excitation, après qui
risquent de les envahir. Selon lui,
il ne faut pas avoir peur de fouler
la pelouse du Marakana. Elle est
d’ailleurs classée comme l’une
des plus belles d’Europe par
l’UEFA. n L. FE

Young Boys dans la chaleur du Marakana


FOOTBALL Les Bernois jouent
leur place en Ligue des cham-
pions mardi soir à Belgrade. Le
stade de l’Etoile Rouge sera
chauffé à blanc

Martin Fuchs a profité très jeune


de tout cela: l’amour des chevaux,


le réseau, l’expertise et même


l’expérience des erreurs à ne pas refaire


En endurance, un dopage
massif et masqué
Le dopage sanguin était répandu chez près
d’un athlète sur cinq dans les épreuves
d’endurance aux Mondiaux d’athlétisme de
2011 à Daegu et de 2013 à Moscou, selon une
étude de l’Université de Lausanne. «Nos
résultats à partir de paramètres
hématologiques solides donnent une
estimation d’une prévalence globale du
dopage sanguin de 18% en moyenne chez les
sportifs d’endurance», indiquent les auteurs,
en rappelant que le taux de contrôles positifs
(urine et sang) reste inférieur à 2%. Selon les
auteurs de l’étude, les données montrent que
l’introduction du passeport biologique par
l’IAAF (Association internationale des
fédérations d’athlétisme) en 2011 n’a pas
permis de faire baisser significativement la
présence du dopage sanguin en 2013. AFP

La gestion de la Coupe du
monde 2006 au tribunal

La justice allemande a ouvert lundi la voie à
un procès contre quatre anciens
responsables du monde du football dans le
cadre d’une enquête sur des soupçons de
corruption lors de la Coupe du monde 2006
dans le pays. Le comité d’organisation
allemand est soupçonné d’avoir utilisé une
caisse noire pour acheter des voix afin
d’assurer l’attribution à l’Allemagne du
prestigieux tournoi mondial. AFP

EN BREF


Nuit suisse
à l’US Open
Quatre joueurs
suisses étaient
engagés lundi au
premier tour de
l’US Open: Roger
Federer face à
l’Indien Sumit
Nagal (qualifié),
Stan Wawrinka
contre l’Italien
Jannik Sinner
(qualifié), Timea
Bacsinszky face à
l’Américaine
Catherine Mcnally
(wild card) et
Viktorija Golubic
contre la Chinoise
Shuai Zhang
(34e mondiale).
Compte tenu du
décalage horaire,
retrouvez le
compte rendu de
la nuit sur http://www.
letemps.ch
L. FE

MAIS ENCORE

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