Temps - 2019-08-27

(Martin Jones) #1
MARDI 27 AOÛT 2019 LE TEMPS

International 5


RICHARD WERLY, PARIS
t @LTwerly


Donald Trump est reparti ravi de
son séjour sur la côte basque. D’or-
dinaire, le président américain aime
fusiller de quelques tweets rageurs
les négociations auxquelles il vient
de participer. Rien de tel à l’issue du
sommet du G7 de Biarritz, qui s’est
achevé lundi soir. Sur presque tous
les sujets, une convergence entre les
pays les plus riches s’est dégagée. Le
nuage européen du Brexit, sans être
dissipé, n’a pas non plus terni la réu-
nion, première de ce club du G7 pour
le nouveau premier ministre britan-
nique Boris Johnson. 
Poursuite du dialogue sur l’Iran,
avec la perspective d’une possible
rencontre entre Trump et le pré-
sident iranien Rohani. Volonté d’apai-
sement avec la Chine, pour parvenir
à un accord commercial adossé à
une réforme de l’Organisation mon-
diale du commerce. Mandat donné à
l’OCDE d’aboutir, d’ici à 2020, à une
taxation internationale des géants
américains du numérique, destinée
à remplacer la taxe unilatérale décré-
tée par la France. Création d’un fonds
dédié à la protection de la forêt amazo-
nienne, dont les contours seront pré-
cisés lors de l’Assemblée générale des
Nations unies qui commence le 17 sep-
tembre...


Une très courte déclaration
Le désaccord frontal a persisté lors
de ce G7 de tous les «deals» sur un seul
sujet: celui de la Russie, exclue du club
depuis 2014 en raison de l’annexion de
la Crimée, et que Donald Trump rêve
de réinviter. Président du G7 en 2020,
et résolu à le convier dans son fief de
Miami (Floride), l’Américain revien-
dra sûrement d’ici là à la charge. 


Sur le papier, le bilan est donc
positif. Dans les faits en revanche,
les acquis de ce G7 devront tous être
précisés. La très courte déclaration
finale n’est d’ailleurs assortie d’au-
cune garantie ni calendrier. L’Iran
d’abord: au-delà de deux phrases
du communiqué du G7 pour rappe-
ler la nécessité de préserver la stabi-
lité du golfe Persique et d’empêcher
la République islamique de se doter

de l’arme nucléaire, la principale per-
cée aura été informelle, obtenue à la
suite de la visite surprise à Biarritz du
ministre iranien des Affaires étran-
gères, Mohammad Javad Zarif. Grâce
aux discussions avec ce dernier, aux-
quelles les Américains avaient préala-
blement donné leur aval, la rencontre
proposée par Donald Trump au pré-
sident iranien Hassan Rohani serait
désormais «envisageable».
«Nous avons créé les conditions
pour cette rencontre, préalable en
vue d’un nouvel accord nucléaire»,
s’est félicité Emmanuel Macron en

énumérant deux conditions essen-
tielles: que le futur texte permette la
surveillance d’un plus grand nombre
de sites, et que les échéances fixées
soient beaucoup plus longues. Négo-
cié à Lausanne, l’accord signé à
Vienne le 14 juillet entre l’Iran et les
membres permanents du Conseil de
sécurité (plus l’Allemagne) – dont les
Etats-Unis se sont retirés – expire en
partie en 2025, en particulier sur la
question cruciale de l’accès de l’Iran
aux centrifugeuses. Un calendrier
«absolument inacceptable» pour
Donald Trump, demandeur d’un nou-
vel accord «de longue durée».
Sur la guerre commerciale avec la
Chine, le président américain a aussi
affiché sa volonté de parvenir à un
accord, après avoir répété que celle-ci
«manipule sa monnaie et dévalue sa
devise». Mais c’est peut-être sur la
méthode, durant ces deux journées
de Biarritz, que le G7 a marqué des
points. Privilégiant les discussions
informelles, prompt à s’emparer de
sujets d’actualité et résolu à ne pas
s’enfermer dans des considérations
pré-négociées entre diplomates,
Emmanuel Macron a ainsi ouvert
deux nouveaux fronts, non men-
tionnés dans le communiqué final:
celui d’une internationalisation de la
protection des forêts de l’Amazonie,
ce «poumon de la planète»; et celui
d’une reconfiguration de la force
multinationale du G5 au Sahel (Bur-
kina Faso, Mali, Mauritanie, Niger,
Tchad).
Le dossier de l’Amazonie, arrivé
sur l’agenda du G7 en raison des
feux de forêts dans la partie brési-
lienne de cette région, a conduit à
l’allocation immédiate d’un fonds de
20 millions de dollars pour les pays
concernés par les incendies (Bolivie,
Brésil, Colombie, Paraguay, Pérou).

La perspective du Brexit n’a pas terni particulièrement la rencontre. (JEFF J MITCHELL/POOL VIA REUTERS)


A Biarritz, le G7 de tous les «deals»

DIPLOMATIE A l’issue de deux jours de discussions, les chefs d’Etat ou de gouvernement du G


ont achevé leur sommet lundi soir sur un bilan positif. La possibilité d’une reprise du dialogue sur l’Iran


et d’une accalmie de la guerre commerciale redevient d’actualité


«La souveraineté


des Etats


ne doit pas


leur permettre


de faire


n’importe quoi»
EMMANUEL MACRON

Jair Bolsonaro
s’en prend
à Brigitte Macron
Le président
brésilien a endossé
dimanche sur
Facebook un
commentaire
offensant pour
Brigitte Macron
– apparaissant sur
une photo
désavantageuse –
en la comparant à
Michelle Bolsonaro
(37 ans) –
rayonnante.
«Vous comprenez
maintenant
pourquoi Macron
persécute
Bolsonaro?» écrit
l’auteur de l’insulte.
«N’humilie pas le
type – MDR (mort
de rire)», a répondu
en commentaire
Jair Bolsonaro
en référence à son
homologue. AFP

MAIS ENCORE


Les ambassadeurs suisses,
réunis pour leur conférence
annuelle, gagneraient à vision-
ner la conférence de presse
conjointe donnée lundi soir à
Biarritz par Donald Trump et
Emmanuel Macron. Idem pour
les ambassadeurs français,
attendus à l’Elysée ce mardi
matin par un chef de l’Etat
auréolé d’un G7 couronné de
succès.
En moins d’une heure
d’échanges face aux journa-
listes, les deux présidents ont
mis en relief ce qui fonctionne
encore au sein de ces sommets:
l’alchimie personnelle et le sens
des concessions mutuelles,
rendues possibles par un cli-
mat de confiance patiemment
construit, consolidé par de gen-
tilles formules sur leurs «formi-
dables» épouses respectives.
Le fait qu’Emmanuel Macron,
d’emblée, ait écarté l’obligation
d’un communiqué commun
pré-négocié a ainsi rendu pos-
sible la rédaction d’un texte final
acceptable par tous, incluant
la poursuite du dialogue sur
l’Iran et la nécessité d’une accal-
mie dans la guerre commer-
ciale Chine-Etats-Unis. Mieux:
Donald Trump s’est senti res-
pecté et écouté. Un point cru-
cial pour ce chef d’Etat persuadé
que ses propres diplomates, ses
services de renseignement et
surtout les médias passent leur
temps à le sous-estimer et à le
ridiculiser.

Fin psychologue
Cette leçon de diplomatie,
dans un monde toujours plus
fracturé, mérite d’être dissé-
quée. Fin psychologue et tou-
jours convaincu de sa capacité
à charmer ses interlocuteurs,
Emmanuel Macron a marqué
trois points simultanément.
Le premier, face aux Fran-
çais et malgré le relatif mécon-
tentement de la population de
Biarritz prise en otage, a été de
parier sur un dispositif de sécu-
rité certes étouffant mais de
nature à éviter tout déborde-
ment, afin qu’anti-G7 et «gilets
jaunes» ne perturbent pas la
réunion. Le deuxième a été de
comprendre que son homologue
américain, en campagne électo-
rale, a aujourd’hui terriblement
besoin de consolider sa stature
d’homme d’Etat. D’autant que
Donald Trump présidera l’année
prochaine la réunion annuelle
des pays les plus riches à Miami,
sa ville fétiche, où tous se retrou-
veront sans doute sur son golf de
Mar-a-Lago. Troisième point
marqué: le pari sur l’unité main-
tenue des Européens malgré le
Brexit et la perspective d’un
accord commercial futur entre
Londres et Washington. En
clair: Emmanuel Macron a jus-
tement anticipé le fait que Boris
Johnson chercherait d’abord, à
Biarritz, à endosser le costume
du bon élève pour sa première
apparition au «club».
Moralité: le G7 n’est pas vain et
il peut même, de cette manière,
retrouver une forme de crédibi-
lité. L’heure n’est plus aux som-
mets qui prétendaient régir le
monde. Passer en revue tous
les problèmes, pour en finir avec
d’interminables déclarations
négociées au cordeau par des
ambassadeurs hors sol n’a plus
de sens. Le rôle de ces réunions
doit être, entre dirigeants élus
de puissances riches et démo-
cratiques, de mettre sur la table
leurs différends pour dessiner
les chemins concrets vers de
possibles solutions. A Biarritz,
la réinvention du G7 a peut-être
commencé. ■ R.W.

COMMENTAIRE

Avec Macron,


un sommet


réinventé


L’idée d’un «statut international» de
cette région a en outre été remise sur
le tapis par le locataire de l’Elysée,
pour qui «la souveraineté des Etats
ne doit pas leur permettre de faire
n’importe quoi». Une volonté d’in-
gérence accrue par l’animosité per-
sonnelle entre Emmanuel Macron et
son homologue brésilien Jair Bolso-
naro, auteur de remarques perfides
ce week-end sur l’épouse du pré-
sident français sur Facebook. «Il ne
m’a pas dit la vérité, a accusé celui-ci,
réitérant sa volonté de ne pas ratifier
en l’état l’accord commercial conclu
fin juin entre le Mercosur et l’Union
européenne. Ses propos extraor-
dinairement irrespectueux sont
tristes pour les Brésiliens, et sur-
tout pour les femmes brésiliennes.»

Des projets pour le G5 Sahel
L’Afrique, invitée à la table du G7 à
travers plusieurs de ses dirigeants
(Sénégal, Egypte, Rwanda, Burkina
Faso, Afrique du Sud et Union afri-
caine) mais aussi via la présence du
Prix Nobel de la paix congolais Denis
Mukwege et de la chanteuse Ange-
lique Kidjo – venus défendre leur ini-
tiative sur les droits des femmes et
l’accès au crédit –, aura finalement
été moins évoquée que d’habitude.
Est restée la nécessité de restruc-
turer la force du G5 Sahel compte
tenu de l’enlisement militaire dans
la région. L’Allemagne pourra se
retrouver davantage impliquée
dans le soutien de cette force d’envi-
ron 10 000 hommes, dont l’essentiel
des moyens lourds est fourni par la
France. Il faut changer «d’échelle et
de méthode» ont souligné les deux
dirigeants européens concernés.
Une conférence franco-allemande
sur le Sahel se tiendra d’ici à la fin
de 2019. ■
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