Temps - 2019-08-27

(Martin Jones) #1
LE TEMPS MARDI 27 AOÛT 2019

6 International


NATHALIE VERSIEUX, BERLIN


Huit cents milliards d’euros... C’est la
somme que la Pologne pourrait récla-
mer à l’Allemagne, en dédommage-
ment des atrocités commises pen-
dant la Seconde Guerre mondiale. A
la veille des élections législatives en
Pologne, le 13 octobre, le parlement
polonais entend préciser ses revendi-
cations dans les semaines à venir. Fin
août, à la veille du voyage du président
allemand Frank-Walter Steinmeier pour
les célébrations du 80e anniversaire
de l’invasion de la Pologne par l’armée
nazie, le ministre-président Mateusz
Morawiecki a rappelé que «la Pologne
n’a pas été correctement indemni-
sée pour les horreurs subies pendant
la guerre», notamment par rapport à
d’autres pays moins «endommagés»,
«tels que la France et les Pays-Bas».


Un champ de ruines
Le parti conservateur PiS, au pouvoir
depuis 2015, semble déterminé à faire
valoir les revendications de la Pologne.
«Le niveau de vie élevé des Allemands
repose aussi sur le travail forcé des Polo-
nais (pendant la guerre) et sur le vol de
territoires polonais», argumente le
député Arkadiusz Mularczyk du PiS,
qui porterait bien le dossier devant le
Parlement européen, afin d’augmenter
la pression sur Berlin. Varsovie attend
de voir comment le nouveau premier
ministre grec, qui rencontre Angela
Merkel cette semaine, va réagir à la fin
de non-recevoir que lui a adressée Berlin
sur la même question des réparations
(Athènes réclame de son côté 278,7 mil-
liards d’euros à l’Allemagne).


Le gouvernement allemand estime
pour sa part le dossier «clos», argumen-
tant qu’à trois reprises, en 1953, en 1970
et en 1990, la Pologne a renoncé à exiger
réparation pour les torts subis pendant
la guerre. Varsovie, qui était alors sous
la coupe de l’Union soviétique, assure
ne pas avoir pu à l’époque prendre de
décision souveraine.
En 1945, la Pologne est un champ
de ruines. Varsovie est rasée. Plus de
1000 villages y ont été rayés de la carte,
dont de nombreux «Shtetlech», ces vil-
lages en bois datant pour la plupart du
Moyen Age où les communautés juives
vivaient en quasi-autarcie. La Pologne,
avec 6 millions de victimes (un habitant

sur cinq), la disparition de sa commu-
nauté juive et la perte de ses territoires
orientaux accordés à l’Ukraine, est l’un
des pays les plus sinistrés par le conflit.
Des millions de Polonais ont été dépor-
tés de l’actuelle Ukraine vers les régions
de l’ouest, prises à l’Allemagne en vertu
des accords signant la fin du conflit. Des
millions d’Allemands ont pour leur part
été déportés vers l’ouest. Une partie de
ces «Vertriebene» (expulsés), organi-
sés au sein de l’aile droite de la CDU,
réclame toujours réparation pour les
pertes subies.
Du temps du régime communiste,
le dossier des indemnités est resté
enterré. Le traité de Görlitz, signé en
1953 entre Berlin-Est et Varsovie, éludait
la question. Tout comme le traité qui a

autorisé la Réunification en 1990. Côté
allemand, on rappelle que la Pologne a
reçu des territoires bien plus riches que
ceux perdus au bénéfice de l’Ukraine,
que les victimes polonaises ont touché
225 millions d’euros entre 1945 et 1991,
qu’un milliard supplémentaire a été
versé aux travailleurs forcés polonais
et qu’un demi-milliard l’a été aux survi-
vants des camps de concentration.
«1990 aurait été le dernier moment
pour présenter des revendications,
estime l’historien allemand Gregor
Schöllgen. Mais la Pologne n’a alors pas
voulu mettre en péril la reconnaissance
définitive de la frontière Oder-Neisse
par l’Allemagne.» En échange de la Réu-
nification, la République fédérale s’est
engagée à renoncer à toute revendica-
tion territoriale sur la Pologne.

Une campagne électorale
Quelle solution se profile-t-elle dans
ce conflit, dont la dimension morale
occupe la presse comme la classe poli-
tique allemandes? Le SPD et le parti
néo-communiste Die Linke proposent
que Berlin participe au financement de
la reconstruction d’un monument sym-
bolique, tel le Palais saxon de Varsovie,
ou soutienne financièrement des pro-
grammes de bourses pour des étudiants
polonais en Allemagne, afin de renfor-
cer les échanges entre les deux pays.
Le PiS a d’ores et déjà placé le conflit
avec l’Allemagne au cœur de sa cam-
pagne électorale. La semaine dernière,
Mateusz Morawiecki a reproché à l’Alle-
magne de faire trop peu pour la défense
commune et ce au moment même où
Washington menace Berlin de dépla-
cer 1000 soldats américains de la Répu-
blique fédérale vers la Pologne, puisque
l’Allemagne – avec 1,2% du PIB consacré
aux dépenses militaires – ne respecte
pas l’engagement des pays de l’OTAN.
Donald Trump – qui se rendra lui aussi
aux commémorations du 1er septembre
en Pologne – ne cesse de le reprocher à
Angela Merkel. n

La Pologne réclame


800 milliards à l’Allemagne


Un jeune Polonais sur les ruines de sa maison, lors de l’offensive allemande de septembre 1939. (JULIEN BRYAN/AP PHOTO)


EUROPE A la veille du 80e anniversaire
de l’invasion de la Pologne par l’Alle-
magne nazie, le gouvernement de Var-
sovie a rouvert le dossier des réparations
de guerre. Il entend profiter de ses
bonnes relations actuelles avec Donald
Trump pour parvenir à ses fins


DENIS BLIN
t @DenisBlin

Envisagé depuis plusieurs
dizaines d’années, le retrait du
statut de capitale de l’Indonésie à
Djakarta a été acté lundi par Joko
Widodo. Le président indonésien a
annoncé qu’un site avait été choisi
sur l’île de Bornéo pour accueil-
lir le nouveau centre politique du
pays. Une décision qui vise à frei-
ner l’expansion urbaine de Djaka-
rta, mégalopole de 30 millions d’ha-
bitants installée sur la pointe nord
de l’île de Java depuis cinq cents ans
mais menacée par la montée des
eaux. «Le fardeau supporté actuel-
lement par Djakarta est trop lourd
en tant que centre politique, éco-
nomique et financier» du pays, a
expliqué Joko Widodo, précisant
que le déménagement coûtera au
total 33 milliards de dollars.
Le surpeuplement a eu un effet
dévastateur sur le sous-sol de l’ac-
tuelle capitale: faute de réseau d’ad-
duction digne de ce nom, les habi-
tants pompent de façon incontrôlée
dans les nappes phréatiques. Résul-
tat, la ville s’affaisse dangereuse-
ment. La localisation côtière de Dja-
karta pose également problème car
les tsunamis sont fréquents dans
cette région du monde logée sur
une ceinture volcanique très active.
Plus largement, le transfert de la
capitale en dehors de l’île de Java,
qui accueille la moitié des 260 mil-
lions d’Indonésiens, doit permettre
de rééquilibrer les foyers de popula-
tion à l’échelle provinciale. La déci-
sion du président indonésien signe
en tout cas la fin d’une longue his-
toire pour Djakarta, désignée capi-
tale de leur empire des Indes orien-
tales par les colons hollandais au
XVIIe siècle. «Depuis qu’elle est
indépendante [en 1945, ndlr], l’In-
donésie n’a jamais choisi sa capi-
tale», a ainsi tenu à rappeler Joko
Widodo.

Stratégique mais fragile
La future capitale, dont le nom
n’a pas encore été dévoilé, sera
construite dans la province du Kali-
mantan oriental, entre les villes de
Balikpapan et Samarinda. Au cœur
du trésor de biodiversité qu’est l’île
de Bornéo. Une décision plus que
critiquable pour les ONG qui voient
là une menace à la conservation de
la forêt tropicale qui recouvre Bor-
néo, habitat d’espèces endémiques
comme les orangs-outans. Le site
de la nouvelle capitale a aussi été

choisi pour son emplacement stra-
tégique, grosso modo au centre de
l’immense archipel formant l’Indo-
nésie. Le gouvernement de Widodo
souhaite préparer le transfert dès


  1. Le déménagement des prin-
    cipales institutions devrait être ter-
    miné en 2024.
    Changer de capitale est devenu
    chose courante pour les gouver-
    nements ces dernières décennies.
    Souvent en raison d’un besoin de
    rééquilibrage économique entre
    des provinces côtières floris-
    santes et un arrière-pays délaissé.
    Dodoma en Tanzanie, Abuja au
    Nigeria ou Naypyidaw en Birma-
    nie ont ainsi été élevées au rang
    de nouvelle ville centre, avec plus
    ou moins de succès. Les deux pre-
    mières ont réussi à attirer une part
    non négligeable de la population,
    la troisième est une ville fantôme.


Sissi City
Le transfert forcé de Djakarta
relève d’un phénomène de plus
en plus présent: la multiplica-
tion des «villes-mondes» de plu-
sieurs dizaines de millions d’habi-
tants, congestionnées à l’extrême.
L’Egypte du président Sissi a ainsi
franchi le pas en 2015 pour désem-
bouteiller sa tentaculaire capitale
du  Caire. Le chantier de «Sissi
City», comme elle est surnommée
par les Egyptiens, est censé accueil-
lir les institutions gouvernemen-
tales prochainement. Mais trois
ans après le début du chantier, la
ville vitrine sonne creux. La folie
des grandeurs du chef de l’Etat –
son nouveau palais présidentiel
s’étendra sur 17 km² – fait face aux
difficultés des promoteurs, sous
pression, à attirer la population cai-
rote, effrayée par des prix prohibi-
tifs. Et Le Caire est toujours aussi
pollué et embouteillé.
Le projet autour de la nouvelle
capitale indonésienne n’est pas
encore connu et rien ne permet
d’entrevoir un scénario à l’égyp-
tienne. Interrogé par l’AFP, Green-
peace Indonésie pointe toutefois
que le transfert «ne résoudra pas
forcément les problèmes de Dja-
karta comme les inondations, les
embouteillages et l’urbanisation
incontrôlée». n

ASIE Le président Widodo a
annoncé le transfert du centre
politique indonésien vers l’île de
Bornéo d’ici à 2024. D’autres pays
ont sauté le pas ces dernières
décennies pour désengorger leur
capitale

Djakarta rejoint le cercle


des capitales déchues


Multiplication des migrants
secourus dans la Manche

Le nombre des migrants secourus cette année en tentant de
traverser la Manche est plus de deux fois supérieur à celui
sur l’ensemble de 2018, soit 1451 personnes, selon un bilan
diffusé lundi par les autorités françaises. D’après ce bilan
arrêté vendredi, 1451 migrants ont été interceptés, au cours
de 156 tentatives, depuis le 1er janvier, contre 586 migrants
lors de 78 tentatives sur l’ensemble de 2018. AFP

Isotopes radioactifs identifiés
dans le Grand Nord russe

Les autorités russes ont dévoilé lundi la nature de la
pollution provoquée début août par une explosion sur une
base de lancement de missiles du Grand Nord. L’agence de
surveillance environnementale Rosguidrometdes a
découvert près du lieu de l’incident des isotopes radioactifs
de strontium, de baryum et de lanthane. AFP

Des dizaines
de routiers tués
en Afrique du Sud
De nombreux
chauffeurs
routiers sont
morts en Afrique
du Sud depuis
mars 2018 dans
des attaques
visant des
étrangers, a
rapporté Human
Rights Watch
lundi, appelant à
une protection
renforcée des
travailleurs
étrangers.
Des groupes de
camionneurs
sud-africains
auraient attaqué
des chauffeurs
étrangers avec
des jets de pierres,
des couteaux, des
fusils et des
cocktails Molotov,
tuant plus de 200
personnes et
forçant des
centaines de
routiers à quitter
leur emploi. AFP

MAIS ENCORE


EN BREF


«Le niveau de vie élevé


des Allemands repose


aussi sur le travail


forcé des Polonais


(pendant la guerre)»
ARKADIUSZ MULARCZYK,
DÉPUTÉ DU PARTI DROIT ET JUSTICE (PIS)

Djakarta

Site de la
nouvelle
capitale

Philippines

Malaisie

Java

Bornéo

INDONÉSIE
Free download pdf