Temps - 2019-08-27

(Martin Jones) #1
MARDI 27 AOÛT 2019 LE TEMPS

Suisse 9


YAN PAUCHARD
t @YanPauchard


Une simple querelle de voisi-
nage qui se termine en un effroy-
able bain de sang, c’est le cœur du
procès qui a débuté ce lundi matin
devant le Tribunal d’arrondisse-
ment de la Broye et du Nord vau-
dois, qui siégeait pour l’occasion
à la salle d’audience cantonale
à Renens. Fin septembre 2016,
dans un petit immeuble des rues
piétonnes d’Yverdon-les-Bains,
un couple était ainsi massacré à
coups de couteau par leur voisin
du dessus, envahi par ses délires
de persécution.
Pourtant difficile ce lundi de
faire coller l’image de celui qui
s’est assis sur le banc des accu-
sés, un homme élégant de 28 ans
au costume bleu impeccable, rasé
de près et aux cheveux coupés
court, qui lit Le Monde diploma-
tique en prison et qui parle d’une
voix douce, avec l’extrême sauvage-
rie dont il a fait preuve et que rien
n’annonçait.
Durant les mois qui précèdent ce
sanglant après-midi d’automne,
pourtant, M., un Suisse travail-
lant dans l’entreprise familiale


active dans le bâtiment, s’isole. Il
s’enferme de plus en plus souvent
chez lui, jouant aux jeux vidéo et
fumant quotidiennement deux à
trois joints de cannabis. Il prendra
également à une reprise du LSD.
L’accusé se persuade que sa voi-
sine s’acharne contre lui, qu’elle
fait exprès de taper contre les
murs, met la musique très fort et
rit de lui. Selon l’acte d’accusation
du procureur Christian Maire, il la
soupçonne même de s’introduire
chez lui pour faire du mal à son
chat. Aujourd’hui, devant le tri-
bunal, l’homme reconnaît que ces
persécutions étaient tout droit
sorties de son imagination. A un
psychiatre, il a avoué: «Je para-
noïais.»

Lame brisée dans l’omoplate
Le 29 septembre 2016, tout bas-
cule. L’accusé rentre du travail
vers 17h. Il entend des bruits. Il
ne les supporte plus. Il a la haine.
Il prend un couteau de cuisine
crénelé de 20 centimètres et se
rend à l’appartement de sa voi-
sine. Il cogne violemment à la
porte. C’est le compagnon de
cette dernière qui ouvre. M. lui
assène plusieurs coups de cou-

teau. Le rapport médico-légal en
dénombrera pas moins de 25. L’ac-
cusé frappe tellement fort que la
lame se brise sur l’omoplate de sa
victime. L’homme de 39 ans s’ef-
fondre dans le couloir d’entrée de
l’appartement. Saignant abon-
damment, il meurt rapidement
de ses blessures.

Malgré le choc de ce premier
mort, la rage ne faiblit pas chez M.
Il rattrape sa voisine dans la cui-
sine, où elle s’est réfugiée avec un
téléphone portable pour tenter
d’appeler les secours. Il prend un
autre couteau et s’acharne à son
tour sur elle, la poignardant à 32
reprises. Agée de 39 ans comme
son ami, la femme décédera à l’hô-
pital d’Yverdon-les-Bains dans la
soirée.

Couvert du sang de ses victimes,
M. remonte ensuite chez lui et
redescend à deux reprises pour
nettoyer les traces de sang sur
le sol du couloir de l’immeuble.
Il dira plus tard qu’il ne voulait
pas effrayer les autres voisins...
Il est arrêté sur place par une
patrouille de police, alertée par

les employés du commerce situé
au rez-de-chaussée. La première
phrase qu’il dit aux agents: «Je
crois que j’ai tué mes voisins.»
Emprisonné au Bois-Mermet,
il est prévenu notamment d’as-
sassinat et d’omission de prêter
secours.
Trois ans plus tard, il n’ar-
rive toujours pas à expliquer sa
folie meurtrière. Devant la cour,
M. raconte qu’il voulait seulement

leur faire peur, les menacer. Glo-
ria Capt, avocate d’une des parties
civiles, a tenté de sortir l’accusé de
sa réserve en lui demandant pour-
quoi il n’a pas appelé les secours,
«alors que votre voisine hoquetait,
la gorge tranchée, les yeux grands
ouverts». M. ne saura pas quoi
répondre. Il finira néanmoins par
craquer. En larmes, il s’adressera
aux proches de ses victimes: «Ce
que j’ai fait est impardonnable, je
regrette chaque jour. Si je pouvais
atténuer votre peine, je le ferais.»

«Il ne dormait plus dans son lit»
Le gros morceau de cette première
journée de procès a été consacré à
l’audition des psychiatres. Des dis-
cussions longues, très techniques,
mais déterminantes en vue du ver-
dict, un premier rapport a en effet
conclu à l’irresponsabilité de l’ac-
cusé (ce qui aboutirait à un inter-
nement), le second à une respon-
sabilité partielle. Pour le premier
expert, M. a complètement perdu
le contact avec la réalité. Aux yeux
du deuxième expert, cependant, la
capacité cognitive du prévenu était
préservée, ce que démontre sa pré-
sence d’esprit lorsqu’il a tenté de
laver les traces de sang sur le sol.

La tragédie «n’est pas un coup
de tonnerre dans un ciel bleu»,
a encore détaillé le premier psy-
chiatre: «L’émergence de sa psy-
chose a été progressive, elle s’est
exacerbée dans les six derniers
mois.» D’un conflit larvé avec sa
voisine, M. va développer un véri-
table délire. «Il s’est senti telle-
ment persécuté qu’il va finir par
ne plus dormir dans son lit pour
éviter d’être trop visible», raconte
encore le médecin.
En toute fin de journée, un bref
incident quand l’avocat de l’ac-
cusé a contesté la conclusion du
premier psychiatre, jugeant ses
réponses insatisfaisantes: «Il ne
motive la mesure d’internement
que par la gravité des faits et n’a
pas pris en compte le traitement
que suit de manière volontaire
mon client en prison.» Laurent
Schuler a donc demandé à la
cour un complément afin que cet
expert se détermine sur l’oppor-
tunité d’un traitement ambula-
toire et se prononce sur un risque
de récidive. Déjà rejetée durant
la procédure, la demande a été
refusée. Le procès se poursuit ce
mardi avec le réquisitoire et les
plaidoiries. n

Le voisin tueur se sentait persécuté 

JUSTICE Le procès du jeune homme qui avait massacré à coups de couteau un couple de voisins en 2016 à Yverdon-les-Bains


s’est ouvert ce lundi. Les rapports psychiatriques ont été au cœur des débats de cette première journée d’audience


PROPOS RECUEILLIS PAR SONIA IMSENG
t @SoniaImseng


Quatre heures par jour. C’est
le temps passé en moyenne en
ligne par les 16-25 ans durant
leur temps libre, contre deux
heures et demie pour les per-
sonnes âgées de 40 à 55 ans. Ces
chiffres ressortent d’une étude
publiée lundi par la Commis-
sion fédérale pour l’enfance et la
jeunesse (CFEJ). Cette enquête,
menée en ligne en janvier 2019,
s’est intéressée à l’utilisation
des médias numériques de 1001
jeunes de 16 à 25 ans dans toute
la Suisse.
Connectés en permanence,
les jeunes utilisent les réseaux
tous les jours pour tchatter par
messages (96%), aller sur les
réseaux sociaux (86%), regarder
leurs courriels (63%), et aller sur
des portails vidéo, comme You-
Tube (54%). Ils aiment surtout
être à tout moment en contact
avec d’autres personnes (89%) et
apprécient également de pouvoir
aller sur internet quand ils s’en-
nuient (87%).
Des aspects négatifs ressortent
également de l’étude, et les jeunes
en sont plus ou moins conscients.
Pour une moitié d’entre
eux, la connexion per-
manente est vue comme
ambivalente, positive et
négative à la fois, alors
que l’autre moitié la trouve essen-
tiellement positive. L’enquête met
aussi en avant qu’une moitié des
participants se posent des ques-
tions vis-à-vis de leur pratique
online et se fixent même des
règles. Mais, malgré cette volonté
de s’autoréguler, la connexion à
internet peut facilement deve-
nir addictive à cause de cer-
tains mécanismes psychiques,


ainsi que le relève Daniele Zul-
lino, chef de service d’addictolo-
gie aux Hôpitaux universitaires
de Genève (HUG).

Selon l’étude de la CFEJ, un quart
de jeunes se sentent nerveux lors-
qu’ils ne sont pas connectés durant
un certain temps. C’est probléma-
tique selon vous? Oui, quand il
existe une incapacité à se décon-
necter, il faut réagir car il y a un
risque de dépendance. Nous par-
lons alors de nomopho-
bie [peur excessive d’être
séparé de son téléphone
mobile, ndlr], un phé-
nomène présent avec
les jeux en ligne et les réseaux
sociaux. Lors de nos thérapies
cognitives et comportementales,
nous travaillons sur cette anxiété.
Nous essayons de casser le rituel
qui consiste à vouloir tout contrô-
ler. Des améliorations peuvent se
faire rapidement.

Les jeunes s’instaurent certaines
règles pour limiter leur connexion

permanente. Ils n’utilisent pas leur
téléphone mobile quand ils veulent
se concentrer sur autre chose (77%
selon l’étude de la CFEJ). Est-ce une
stratégie efficace? L’autorégulation
est une bonne idée, mais cela ne

marche malheureusement pas
toujours, surtout face à des pro-
duits addictifs comme inter-
net. L’addiction peut apparaître
à cause de la présence de nom-
breux stimuli, présents en ligne
de manière continue et accélérée,
et qui ont des effets sur notre cer-
veau, car nous sommes faits pour
y réagir.

Comment cela? Il existe un système
de récompense, par exemple des
likes sur les réseaux sociaux ou
des primes de fidélité dans les
jeux en ligne. Un autre problème
avec les applications c’est qu’elles
sont très immersives. Nous nous
retrouvons dans ce que nous
appelons un flow, les utilisateurs
oublient toute notion du temps et
de ce qu’ils devraient être en train
de faire. Cet oubli n’est pas tou-
jours négatif. Mais pour les
jeunes, il y a un risque: qu’ils
perdent le temps précieux dont
ils ont besoin pour apprendre ce
qui est utile à leur développe-
ment. n

«Un jeune incapable de se déconnecter doit réagir»


NUMÉRIQUE Contrairement à
une idée reçue, les jeunes mènent
une réflexion sur leur connexion
permanente à internet. Cela n’em-
pêche pas que les mécanismes
d’internet peuvent pousser à l’ad-
diction. Explications de Daniele
Zullino, chef du service d’addic-
tologie aux Hôpitaux universi-
taires de Genève (HUG)


Il a été arrêté sur place par une


patrouille de police. La première


phrase qu’il a dite aux agents:


«Je crois que j’ai tué mes voisins»


En moyenne, les 16-25 ans passent quatre heures par jour en ligne durant leur temps libre. (LUKAS LEHMANN/KEYSTONE)

DANIELE ZULLINO
CHEF DU SERVICE
D’ADDICTOLOGIE
AUX HUG

«Nous nous


retrouvons dans


ce que nous


appelons un flow:


les utilisateurs


oublient toute


notion du temps»


Nombre de candidatures
record en Suisse romande
La Suisse romande n’a jamais réuni autant
de candidats pour des élections fédérales.
Ils sont 1021 dans les six cantons à briguer
un siège au Conseil national le 20 octobre
prochain, contre 888 il y a quatre ans
(+15%). La progression est particulièrement
nette chez les femmes. Quatre des six
cantons romands affichent une hausse du
nombre de candidats à la Chambre du
peuple, seuls Genève et Neuchâtel
enregistrant des baisses. Partout ailleurs en
Suisse romande, des records de
participation ont été battus. Dans le canton
de Vaud, qui bénéfice également d’une
place de plus au National (19 au lieu de 18),
ils sont 374 à se lancer dans la course, soit
47 candidats supplémentaires. ATS

L’enquête sur le braquage
à La Sarraz se poursuit

Plus d’une dizaine de personnes ont
vraisemblablement été impliquées dans le
braquage de deux fourgons à La Sarraz
(VD). Les voleurs ont fait usage de leurs
armes contre le véhicule qu’ils ont ouvert
avec une charge explosive, indique lundi la
police vaudoise. Depuis l’attaque qui s’est
déroulée vendredi vers 03h sur la bretelle
de sortie de l’autoroute A1 à La Sarraz,
«plusieurs dizaines de policiers vaudois»
sont engagés dans l’enquête, précise le
communiqué. Armés de kalachnikovs et
de pistolets, les braqueurs ont utilisé trois
voitures pour bloquer les fourgons, dont
un a pu s’échapper. ATS

EN BREF


INTERVIEW


L’A9 coupée
entre Vevey
et Montreux
L’autoroute entre
Vevey et Montreux
était fermée lundi
en soirée dans
les deux sens,
à cause d’un
accident. Une
passerelle
enjambant l’A
à Chailly avait été
heurtée
par un camion
et menaçait
de s’effondrer.
La décision
a été prise
de la démolir.
ATS

MAIS ENCORE


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