Echos - 2019-08-28

(lily) #1
vont y gagner. Et évidemment,
d’autres vont y perdre.
Pour les personnes ayant com-
mencé à travailler tôt, Emmanuel
Macron a expliqué lundi soir que
fixer un âge pivot à 64 ans, plutôt
qu’une durée minimum de cotisa-
tion, était « profondément injuste ».
Ce n’est pas faux. Si l’on prend le sys-
tème en vigueur, un Français ayant
débuté dans la vie active à 20 ans
pourrait partir à la retraite à taux
plein à 63 ans en 2035, c’est-à-dire
après 43 années de cotisations
(durée prévue à terme par la
réforme Touraine). Et un peu plus
tôt avant c ette é chéance. Si l’âge de la
retraite à taux plein était fixé à
64 ans, comme l’a proposé en juillet

le rapport Delevoye, cette personne
devrait travailler une année de plus
en 2035. Pour ceux qui ont com-
mencé à travailler jeune, souvent
des personnes peu diplômées et qui
exercent des métiers moins rému-
nérateurs, l’abandon de l’âge
« pivot », s’il se confirme, est donc
une bonne nouvelle.

Les cadres pénalisés
Ce n’est pas le cas de ceux qui font
des études longues. Par exemple, les
cadres. Ils seraient perdants en cas
de maintien d’une durée minimum
de cotisation pour le taux plein. Un
cadre qui a commencé à travailler à
23 ans devait toucher sa retraite à
taux plein à 64 ans avec la réforme
prévue initialement. Si l’âge « pivot »
est enterré et que l’on revient à la
durée de cotisation, alors ce cadre
partira à la retraite à 66 ans, soit
après 43 années de cotisations. Un
expert nuance néanmoins ce cons-
tat, soulignant que les étudiants vali-
dent de plus en plus de trimestres,
via les stages et les jobs d’été.
Par ailleurs, les personnes ayant
eu des carrières hachées seraient,

elles aussi, défavorisées dans le cas
où le schéma évoqué lundi soir par
Emmanuel Macron serait retenu.
En cas d’abandon de l’âge « pivot »
dans le futur système de retraite,
elles ne partiraient plus à la retraite à
taux plein à 64 ans mais plus tard
puisqu’il leur faudrait cotiser plus
longtemps. Par exemple, un Fran-
çais ayant commencé à travailler à 21
ans, mais qui a connu trois années
d’inactivité dans sa carrière, ne p our-
rait partir à la retraite qu’à 67 ans
pour la toucher à taux plein avec une
durée de cotisation de 43 ans.
Les femmes, qui ont en moyenne
davantage d’interruptions de car-
rière, seraient en première ligne.
Aujourd’hui, environ une salariée
sur cinq doit attendre l’âge d’annula-
tion de la décote pour pouvoir partir
avec le taux plein. Cet âge qui était de
65 ans est porté progressivement à
67 ans par la réforme Sarkozy de


  1. Le maintien d’une durée mini-
    mum de cotisations p ourrait
    d’ailleurs remettre ce dossier sur la
    table des négociations, les syndicats
    demandant l’abaissement de ce
    seuil de 67 ans.n


Durée de cotisation ou âge pivot :


les gagnants et les perdants des deux options


Guillaume de Calignon
@gcalignon


Introduction d’un âge « pivot » à
64 ans ou maintien d’une durée
minimum de cotisation pour obte-
nir une retraite à taux plein? Pour
l’équilibre financier à long terme
du f utur système universel d e
retraite par points, cela ne changera
pas forcément beaucoup de choses.
Dans les deux cas, ceux qui n’ont pas
l’âge requis ou qui n’ont pas suffisam-
ment cotisé subissent une décote, ce
qui incite à prolonger son activité. E n
moyenne, les Français partent déjà à
la retraite à 63,4 ans en moyenne,
hors dispositifs de départs anticipés.
Mais selon la solution retenue
par l’exécutif, certaines profes-
sions ou certains profils de c arrière


Le maintien d’une durée
de cotisation plutôt que
l’introduction d’un âge
pivot de 64 ans dans le futur
régime de retraite universel
favoriserait les personnes
ayant commencé
à travailler jeune.


Alain Ruello
@AlainRuello
et Grégoire Poussielgue
@Poussielgue


Concertation citoyenne, probable
prise en compte de la durée de coti-
sation, attention particulière pour
les infirmières, les aides-soignants
ou les enseignants... L’opération
déminage de l’exécutif sur la
réforme ô combien sensible des
retraites se poursuit. Et elle semble
porter ses fruits. Après la sortie sur-
prise d’Emmanuel Macron sur le
possible renoncement à un âge de
« taux plein » à 64 ans lundi soir sur
France 2, la réaction de la CFDT a
été plutôt positive. « Le président de
la République a dit que l'âge pivot
était une erreur, n'était pas une
bonne chose en tout cas. Tant mieux,
on l'avait dit aussi », a commenté
son numéro un, Laurent Berger, à
l’issue d’une réunion à Matignon
où, en compagnie d’autres syndi-
cats, ONG ou fondations, il était
venu défendre des mesures en
faveur de l’écologie et de la justice
sociale.


Vrai revirement
Telle que dessiné par le rapport
Delevoye, présenté en juillet, le
régime universel de retraites à
points qui verrait le jour en 2025
maintient l’âge légal à 62 ans mais
instaure un système de décote-sur-
cote pour inciter les Français à par-
tir au-delà de 64 ans. Avec deux
options pour cet âge « de taux
plein » (un âge d’équilibre du futur
régime universel en fait) : le faire


dépendre de la durée de cotisation,
comme aujourd’hui, ou qu’il soit le
même pour tous.
Le haut-commissaire à la
réforme des retraites s’étant pro-
noncé pour la seconde option, sauf
en cas de départ anticipé, on pou-
vait croire le débat clos. Jusqu’à
lundi soir. A peine le G7 terminé,
voulant surfer sur son succès de ce
sommet et revenant de plain-pied
sur un sujet de politique intérieure,
Emmanuel Macron a fait part de sa
préférence en faveur de la durée de
cotisation. Un changement de pied
qui a surpris jusqu’à ses proches,
même si, à l’Elysée, on rappelle que
le « point d’atterrissage » sur la
question n’est pas encore arrêté.
Pour « que ce soit juste en termes
de cotisations [...], je préfère qu’on
trouve un accord sur la durée de coti-
sation plutôt que sur l’âge », a plaidé
le président, « car si vous avez un
accord sur la durée, si vous commen-
cez plus tard, vous finissez plus tard,
et quand vous commencez plus tôt
vous partez plus tôt ».
Annoncée d ans s on programme,
présentée comme un projet phare
de justice sociale, la réforme des
retraites est capitale pour la seconde
partie du quinquennat du président.
Si Emmanuel Macron peut se félici-
ter d’un apaisement du climat
social, les braises de la contestation
ne sont pas encore éteintes. D’où la
prudence sur une réforme par défi-
nition très anxiogène.

La porte des négociations
reste ouverte
« Les craintes des Français sur cette
réforme systémique ne sont pas
encore désamorcées », constate un
conseiller. Après avoir vanté une
nouvelle méthode sur la forme, le
président entend montrer que, sur
certains aspects de fond du dossier,
la porte des négociations reste
ouverte. Ce n’est « pas un virage sur
l’aile, a estimé mardi matin sur LCI
Bruno Le Maire, le ministre de
l’Economie. Vous ne passerez en
force sur rien. »
La CFDT, s ans l’appui de
laquelle la réforme ne peut pas
passer sans heurts (FO et la CGT s’y
opposent dans sa globalité), est
donc en passe d’obtenir gain de
cause sur ce qui constitue sa prin-
cipale ligne rouge, mais refuse de

crier victoire avant l’heure. « On
verra », a sobrement indiqué
Laurent Berger, renvoyant à la
concertation à Matignon avec les
syndicats, les 5 et 6 septembre pro-
chain. Du côté de la CGC, en revan-
che, c’est la douche froide, puisque,
dans le système actuel, les cadres
qui entrent plus tardivement sur le
marché du travail, doivent parfois
pousser jusqu’à 6 7 ans pour le taux
plein, a souligné Serge Lavagna,
secrétaire national en charge de la
protection sociale.
Le Medef, lui, s’en est tenu à rap-
peler sa position, à savoir le relève-
ment de l’âge de départ à 64 ans,
avec une dose d’individualisation
pour tenir compte des carrières
longues, tout en augmentant la
durée de cotisations. « On a une
impasse financière en 2025 et il fau-
dra augmenter le nombre d’annuités

et passer à 43 ans, mais on ne fera p as
l’économie de l’âge et c’est mentir par
omission aux Français que de dire le
contraire », a déclaré son président,
Geoffroy Roux de Bézieux sur
France Inter.
Même son de cloche à la CPME
qui appelle à « concilier » durée de
cotisation et âge de départ pour
garantir l’équilibre du régime.
Mais selon une formule qui a peu
de chances de voir le jour : plutôt
qu’un âge pivot à 64 ans assorti
d’un bonus-malus, la confédéra-
tion des PME préconise de relever
l’âge légal de départ à 63 ans et de
calculer ensuite le montant de la
pension en fonction de la durée de
cotisation.

(


Lire l’éditorial
d’Etienne Lefebvre
Page 1 2

liards d’euros) à l’horizon 2020,
prenant en compte de nouvelles
hypothèses démographiques plus
avantageuses.
Puis, en juin 2018, le diagnostic
se révélait finalement légèrement
plus p essimiste, a vec un besoin de
financement se creusant à
0,2 point de P IB en 202 2. Enfin, en
juin dernier, patatras, le retour à
l’équilibre s’éloignait encore : le
déficit en 2022 était finalement
revu à 0,4 point de PIB. Soit un
besoin de financement de plus de
9 milliards d’euros. Un parcours
de montagnes russes qui n’a pas
été au goût de tous au sein du g ou-
vernement. D’autant que les rela-
tions entre le COR et Jean-Paul
Delevoye, le haut-commissaire à
la réforme des retraites, ont pu se
crisper à certains moments.

« L’équilibre en 2025 »
Il n’en fallait pas plus pour que cer-
tains, au sein de l’exécutif, songent
à réclamer de nouvelles prévisions
sur la trajectoire financière du sys-
tème en se passant du COR, avant
de songer à des mesures d’écono-
mies sensibles politiquement. Une
tentation qui ne convainc pas les
partisans les plus convaincus de
l’orthodoxie budgétaire.
« Attention à ne pas casser un
thermomètre utile au prétexte que
la température serait trop élevée. La
réalité est que les besoins de finance-
ment à cinq ou dix ans sont assez
clairs, et qu’historiquement, les pré-
visions du COR ont toujours été plu-
tôt jugées trop optimistes c ar tablant
notamment sur des gains de pro-
ductivité élevés », juge une source
gouvernementale. A Matignon,
longtemps partisan de mesures
d’économies dès 2020, on juge qu’il
« n’est pas question de s’affranchir
du réel, des mesures seront nécessai-
res quoi qu’il arrive pour atteindre
l’équilibre en 2025 ». Un équilibre
jugé indispensable, lundi soir, par
Emmanuel Macron lui-même.n

Renaud Honoré
@r_honore
avec D.S. et C.Co.

Depuis la crise des « gilets jau-
nes », le coupable est vite t rouvé au
sein de l’exécutif quand un pro-
blème pointe à l’horizon : c’est la
faute des « petits hommes gris »,
ces technos forcément trop con-
servateurs et trop prudents. Le
dossier des retraites n’é chappe pas
à cette tendance, avec le Conseil
d’orientation des retraites (COR)
sur le banc des accusés. Ainsi
Emmanuel Macron et certains de
ses proches ne cachent plus leur
irritation à l’évocation des prévi-
sions du COR sur l’équilibre finan-
cier des régimes de retraite, selon
plusieurs sources concordantes.
« En 20 17, le COR nous disait que
tout allait bien. En 20 18, c’était déjà
moins bien, et en 2019, c’était carré-
ment la catastrophe. Est-ce que tout
cela est vraiment sérieux et crédi-
ble? » soupire un ministre.

Les montagnes russes
De fait, l’évolution des calculs
financiers du Conseil d ’orientation
des retraites depuis deux ans com-
plique nettement la tâche pour
Emmanuel Macron dans son
entreprise de réforme, alors qu’il
avait promis initialement de ne
pas toucher aux paramètres
(durée de cotisations, âge, etc.).
Après avoir dessiné un tableau
sombre en juin 20 17, le COR s’était
ravisé six mois plus tard en rame-
nant le besoin de financement du
système à 0,1 % du PIB (2,2 mil-

Le Conseil d’orientation
des retraites est la cible
des critiques de plusieurs
proches d’Emmanuel
Macron, qui doutent
de la crédibilité de ses
prévisions sur l’équilibre
financier du système
des retraites.

Les prévisions sur le


déficit des retraites font


« Le président de débat dans la majorité
la République a dit
que l'âge pivot était
une erreur, n'était
pas une bonne
chose en tout cas.
Tant mieux, on
l'avait dit aussi. »
LAURENT BERGER
Secrétaire général de la CFDT

66

ANS
L’âge de départ à la retraite
d’un cadre ayant commencé
à travailler à 23 ans, si l’âge
« pivot » est enterré au profit
de la durée de cotisation.

lLe chef de l’Etat a proposé lundi soir de tenir compte de la durée de cotisation pour définir l’âge de taux plein dans le futur r


lUne annonce surprise qui a été bien accueillie par la CFDT, dont le soutien est crucial, et qui devrait aider à faire accepter c


Réforme des retraites : pourquoi Macron r


FRANCE


Mercredi 28 août 2019 Les Echos

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