Echos - 2019-08-28

(lily) #1

Les Echos Mercredi 28 août 2019 IDEES & DEBATS// 09


art&culture


La rentrée, c’est maintenant


Le film entraîne le spectateur dans son rythme pétaradant, dans sa drôlerie
et dans son émotion. Au premier plan : Zita Hanrot.

Olivier De Bruyn
@OlivierBruyn

Elle abandonne « son »
Ardèche, où elle vivait
depuis des lustres, et décou-
vre la Seine-Saint-Denis.
Une sorte de choc des pay-
sages et des cultures... Samia (Zita Hanrot),
conseillère d’éducation, effectue sa rentrée
dans un collège difficile de Saint-Denis, où
certaines classes sont considérées comme
ingérables. Forte d e sa bonne volonté et de sa
foi dans les vertus de l’enseignement public,
l’héroïne, refusant de céder à la désespé-
rance, parvient à nouer des relations péda-
gogiques fructueuses avec quelques élèves.
En premier lieu avec Yanis, un gamin en
échec qui, malgré son jeune âge et son intel-
ligence, semble déjà ne plus croire en son
avenir. La proximité entre Samia et Yanis est
d’autant plus intense que l’une et l’autre sont
contraints de fréquenter une prison de la
banlieue parisienne où sont incarcérés le
père de l’ado et le petit ami de l’héroïne.

Humour et humanisme
En 201 7, le slameur Grand Corps Malade
avait créé la surprise avec son premier long-
métrage, « Patients », une adaptation inspi-
rée de son ouvrage autobiographique, où il
évoquait sa jeunesse et son année passée
dans un centre de rééducation à la suite
d’un terrible accident. Deux ans plus tard,

Grand Corps Malade, tou-
jours épaulé par son com-
plice Mehdi Idir au scéna-
rio et à la réalisation,
récidive avec le bien
nommé « La Vie scolaire »,
une comédie nerveuse sur
les réalités d’un collège
défavorisé de banlieue. Profs harassés, ados
marqués au fer rouge par le déterminisme
social, parents irresponsables, absen-
téisme, violences et trafics...
Même s’il privilégie l’humour et se refuse
à entonner les couplets catastrophistes si
souvent de mise, Grand Corps Malade, lui-
même fils d’enseignants, aborde de vrais
sujets dans ce film insolent qui confirme
son talent de dialoguiste et de directeur
d’acteurs (les j eunes comédiens d u film s ont
tous formidables). « La Vie scolaire » souf-
fre, certes, de maladresses – les scènes car-
cérales ne sont guère convaincantes – et fait
parfois preuve d’angélisme (les conflits
« identitaires » sont absents du récit), mais
le film entraîne le spectateur dans son
rythme pétaradant, dans sa drôlerie et dis-
tille même de l’émotion quand il dépeint les
ambivalences de Yanis. Derrière son arro-
gance et son mépris apparent pour les us et
coutumes de l’école républicaine, cet ado
n’a rien d’un démon irrécupérable. Tout
comme Samia, on se prend d’affection pour
ce gamin qui, sans v raiment le savoir, attend
qu’on lui tende la main.n

FILM FRANÇAIS
La Vie scolaire
de Grand Corps Malade
et Mehdi Idir
avec Zita Hanrot,
Alban Ivanov, Liam
Pierron... 1 h 52.

La grande actrice


et ses vassaux


Frankie, une actrice fran-
çaise qui surfe sur la vague
du succès depuis des décen-
nies, réunit sa famille et ses
proches dans le décor natu-
rel enchanteur de Sintra, au
Portugal, pour quelques
jours de villégiature. Des
vacances pour le moins particulières puis-
que l’héroïne, condamnée par la maladie,
est persuadée que ce seront ses dernières...
Le fils de Frankie, son ex-mari, des amis et
des collaborateurs de longue date se pres-
sent au chevet de l’actrice en sursis. Tant mal
que bien, ils tentent de dissimuler leur peine
et de ne pas céder aux sirènes du pathos et de
l’apitoiement.
Peu à peu, des crispations apparaissent
au sein du petit groupe, et les mesquineries
des uns comme les histoires d ’amour pathé-
tiques des autres perturbent le séjour. Fran-
kie contemple avec ironie le désolant spec-
tacle et, à l’occasion, n’hésite pas à dire leurs
quatre vérités à ces intimes qui ne brillent
pas toujours par leur élégance.

Choral et bancal
Comme d’innombrables cinéastes français
et internationaux, l’Américain Ira Sachs
(« Keep The Lights On », « Brooklyn Vil-
lage ») voue un culte fervent à Isabelle Hup-
pert, ce que personne ne lui reprochera.
« Frankie », présenté en mai dernier en

compétition au Festival de
Cannes, semble avoir été
conçu et écrit uniquement
pour l’immense comé-
dienne, une planète irra-
diante autour de laquelle
les autres personnages (et
donc les autres acteurs)
gravitent comme autant de satellites ano-
dins...
Amoureux des fictions chorales où de
nombreux protagonistes s’entrecroisent
avec leurs désirs et leurs névroses, Ira
Sachs, dans ce nouveau film qui rappelle
parfois l’univers de James Ivory, paraît
embarrassé pour dépeindre avec subtilité
les caractères qui s’agitent auprès l’héroïne,
cette comédienne hautaine et antipathique
qui, malgré ses souffrances et l’assurance
d’une mort prochaine, continue d’afficher
un caractère revêche et un certain cynisme.
Au gré d’un récit brinquebalant, le
cinéaste, sur fond de décors élégants et enso-
leillés, aligne les saynètes impressionnistes,
tantôt cocasses, tantôt dramatiques, et
n’échappe presque jamais à l’artifice. Les
acteurs convoqués pour donner la réplique à
la star Huppert – Brendan Gleeson, Jérémie
Renier, Pascal Greggory – semblent la plu-
part du temps s’interroger sur l’attitude et le
tempo à adopter pour réciter leurs dialo-
gues. Leur perplexité, hélas, est aussi la nôtre
face à ce film bancal et frustrant. — O. D. B.

FILM
FRANCO-AMÉRICAIN
Frankie
d’Ira Sachs
avec Isabelle Huppert,
Brendan Gleeson,
Jérémie Renier... 1 h 38;

LE POINT
DE VUE


de Philippe Darmayan


La neutralité carbone


exige un véritable plan


stratégique


L


a lutte contre le réchauffement
climatique se cristallise en
France et en Europe sur un objec-
tif concret : atteindre la neutralité car-
bone d’ici à 2050. C’est un impératif qui
s’impose désormais à chacun de nous et
notre devoir est de nous organiser pour
répondre de façon concrète à ce défi.
Or si les bonnes intentions sont
aujourd’hui légion et les initiatives épar-
ses à saluer, il nous manque la feuille de
route stratégique pour organiser les
indispensables transitions économi-
ques et sociales qui accompagnent ce
mouvement vers une économie décar-
bonée. L’urgence climatique impose de
dépasser les visions à six mois. Nous
devons mettre en place les différents
leviers économiques, fiscaux et sociaux
qui vont nous permettre d’atteindre cet
objectif, et sécuriser notre avenir à plus
long terme.
Atteindre la neutralité carbone d’ici à
2050 sera un projet collectif, en rupture
par rapport à ce que nous connaissons.
Il faut de la volonté pour modifier nos
habitudes de consommation en ligne
avec l’objectif, transformer nos loge-
ments selon un concept d’énergie posi-
tive, et adapter notre industrie pour lui
permettre de répondre à ces nouveaux
critères de consommation. Il faut de la
volonté pour que les flux financiers de
l’Etat, de la protection sociale favorisent
ces transformations.
L’industrie jouera un rôle central par
l’intégration progressive de nouvelles
technologies « vertes ». Mais c es techno-
logies, pour prometteuses q u’elles soient
(batteries, hydrogène, éthanol, chimie
verte...) demandent chacune des inves-


là même à affaiblir le bilan carbone de
notre filière électrique.
Aujourd’hui, les i nterrogations s ur les
technologies concurrentes sont nom-
breuses. Elles d oivent constituer la c har-
pente de nos réflexions de société au
cours des années à venir : à quelles con-
ditions et quand les énergies renouvela-
bles seront-elles capables de fournir de
l’électricité pour tous? S i l’hydrogène est
une réponse au stockage de l’énergie ou
à la réduction du minerai de fer, quel
procédé privilégier et à quel coût? A
quelles conditions peut-on arrêter les
moteurs thermiques en ayant des solu-
tions fiables de remplacement?
Parce que ce sont des questions com-
plexes et engageantes, il nous faut une
organisation d édiée pour piloter ce mou-
vement et permettre à chaque acteur
économique de se situer. A l’instar du
projet de gouvernance proposé pour la
réforme des retraites, il doit s’agir d’une
véritable « task-force » qui regroupe
acteurs du privé et du public. Charge à
elle de planifier les évolutions souhaita-
bles, de modéliser les meilleurs équili-
bres financiers et de mettre en place les
systèmes incitatifs qui seront bénéfiques
à la collectivité en termes d’emploi
comme de compétitivité à court, moyen
et long terme. Nous avons déjà trop tardé
à agir. Il est temps de passer à l’action et
de mettre en place le cadre stratégique
pour réussir la neutralité carbone d’ici à


  1. L’industrie est clef pour remplir
    cette mission et elle est prête à jouer un
    rôle moteur pour y parvenir.


Philippe Darmayan est président
de l’UIMM La Fabrique de l’Avenir.

tissements si importants, et dans des
délais si courts, que les industriels ne
peuvent pas les assumer seuls. Il est
indispensable que ces investissements
s’opèrent dans le cadre d’un partenariat
public-privé, avec le concours des États
et de l’Union européenne.
Une « roadmap » doit être établie pour
modéliser les chemins d’évolution des
différentes technologies susceptibles de
remplacer les énergies carbonées. Pour-
quoi? Parce que les choix de substitution
que nous allons opérer seront lourds de
conséquences pour notre collectivité et
doivent impérativement être pensés à
l’aune de leurs impacts environnemen-

taux mais aussi économiques, e t sociaux.
Un exemple? Nous voyons
aujourd’hui les effets désastreux sur
l’emploi de l’arrêt programmé du diesel.
L’impact sur notre tissu social n’avait
tout simplement pas été quantifié au
préalable. Cette décision, en apparence
vertueuse, a également pour consé-
quence de renforcer le monopole de la
Chine sur les batteries et sur les maté-
riaux q ui les c omposent e t contribue par

L’ urgence climatique
impose de dépasser
les visions à six mois.

Il faut mettre en place
une task force
public-privé pour
planifier les évolutions
technologiques.

LE POINT
DE VUE


de Kono Taro


Vers une nouvelle étape


du partenariat


Japon-Afrique


L


a septième Conférence interna-
tionale de Tokyo sur le développe-
ment de l’Afrique (TICAD 7) se
tient du 28 au 30 août à Yokohama au
Japon. Depuis 1993, six éditions de la
TICAD ont eu lieu sur la thématique du
développement de l’Afrique.
La TICAD VI en 2016 à Nairobi a été
l’occasion pour les hommes d’affaires
accompagnant la délégation japonaise
de renforcer leurs liens économiques
avec l’Afrique.
Derrière la forte croissance économi-
que et démographique africaine se
cache un chômage de masse des jeunes,
qui est à l’origine de problèmes sévères
liés aux réfugiés et à la radicalisation des
jeunes, en particulier au Sahel. Afin d’y
faire face, le continent devrait créer des
emplois en diversifiant son économie.
L’Afrique dispose grâce à son essor
démographique d’une main-d’œuvre
jeune et abondante et de marchés en
développement. L’accord sur la Zone de
libre-échange continentale africaine
(ZLECAf) accélère le commerce intra-
africain, stimule la croissance et garantit
l’accès à un marché de plus de 1,3 mil-
liard de consommateurs.
Plus que le simple bénéficiaire des
aides internationales, l’Afrique est une
destination d’investissements promet-
teurs pour les entreprises japonaises, à
l’exemple de Yamaha Motor qui a déve-
loppé ses activités en encourageant la
pêche et les autres industries locales.
L’entreprise a également contribué à
l’approvisionnement en eau potable
dans huit pays africains et investit dans
la formation des personnels locaux. Le
kaizen, méthode japonaise d’améliora-


giaires, ce qui l’a amené à distribuer ses
produits dans ce pays.
La TICAD 7 placera le monde des
affaires au cœur des discussions en ins-
taurant des espaces de dialogue entre les
dirigeants africains, les entrepreneurs
japonais et leurs partenaires européens,
afin de créer de nouvelles opportunités
économiques. L’acquisition du groupe
français CFAO a permis à Toyota Tsusho
Co. de développer ses activités dans le
secteur des soins médicaux et de la
santé, de l’éducation, et de l’environne-
ment. Le Japon et la France poursuivent
également une coopération en Afrique
dans trois domaines : développement
durable, santé, et sécurité.
A la différence des autres forums de
coopération avec l’Afrique, la TICAD a la
particularité de proposer un cadre
ouvert et inclusif auquel participent
l’ensemble des acteurs et non les seuls
pays africains. Le partenariat avec l’Afri-
que et le développement durable du
Sahel était l’une des thématiques majeu-
res du Sommet du G7 de Biarritz 2019. Le
Japon désire s’associer au gouverne-
ment français à l’occasion de la TICAD 7
afin de partager avec les pays africains
les résultats combinés du G20 et du G
de cette année.
La TICAD 7 sera donc l’occasion pour
les acteurs de l’entrepreneuriat de con-
solider des partenariats par le biais de
nombreux événements parallèles aux-
quels participeront, entre autres, de
nombreux pays européens dont la
France.

Kono Taro est ministre des Affaires
étrangères du Japon.

tion de la qualité et de la productivité,
poursuit aussi son implantation en
Afrique.
La TICAD 7 sera l’occasion d’échanger
sur les solutions pour lever les freins à
l’implantation encore timide des entre-
prises japonaises en Afrique, notam-
ment via la formation de personnels et
l’établissement d’un environnement
propice aux affaires. Concernant la for-
mation de personnels, les entreprises
japonaises ont l’avantage de pouvoir
tirer parti de leurs expériences en Chine
et en Asie du Sud Est afin de les adapter
au continent africain.

Depuis 2 014, de jeunes Africains pren-
nent part à l’initiative ABE (African Busi-
ness Education Initiative), un dispositif
de formation grâce auquel ils acquièrent
des compétences techniques par le biais
d’études en master et de stages dans des
entreprises japonaises. Une fois de
retour en Afrique, ils y jouent le rôle
d’intermédiaire avec le milieu des affai-
res nippon. Le fabricant de paratonner-
res Otowa Electric a par exemple com-
pris la gravité des dégâts causés par la
foudre au Rwanda grâce à l’un de ces sta-

Les entreprises
japonaises ont
l’avantage de pouvoir
tirer parti de leurs
expériences en Chine et
en Asie du Sud-Est, afin
de les adapter au
continent africain.

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