Numéro N°206 – Septembre 2019

(Rick Simeone) #1
Comment avez-vous développé, sur le plan
technique, votre somptueux clip pour le titre
To Be Reborn de Boy George en 1987?
J’en ai eu l’idée, déjà. Et les idées que j’ai sont
avant tout liées aux êtres, bien plus qu’à
la technologie qui ne sert jamais qu’à appuyer
le message qu’on essaye de faire passer. Il se
trouve qu’à ce moment-là Boy George n’allait
pas très bien. Et quand il m’a demandé
de travailler pour lui sur ce titre, je me suis tout
de suite dit qu’il avait besoin de douceur et
de délicatesse. C’est pour cette raison que, dans
le clip, la main d’une petite fille tourne
tendrement les pages d’un album photo, ainsi
que les feuilles de calque très délicates qui le
révèlent au fil des pages... Je voulais apporter
de la pureté au moment où la presse s’acharnait
sur lui en disant qu’il était homosexuel, drogué,
au fond du trou. Je voulais l’aider à trouver une
sorte de rédemption. Pour To Be Reborn, je me
suis tourné vers des gens qui expérimentaient
la 3D à Paris, et ils ont réussi à incruster des plans
de lui en train de chanter sur des pages sur
fond bleu. Avec les jeux de transparence des pages
de calque, ce n’était pas une mince affaire,
mais le résultat, pour l’époque, était exceptionnel.
En ce qui concerne la technique, j’ai toujours
eu envie d’avancer par curiosité et par gourmandise.
Quand les gens s’arrêtent, ça m’ennuie. Et tout
ce qui m’arrête – le succès, la reconnaissance,
les hommages, les expositions –, je ne sais
pas trop quoi en faire.

Et Madonna, elle est sympa ou pas?
[Rires.] Quelle question de vieux garçon coiffeur!
Et vous êtes sympa, vous, dans le travail?
C’est pas ce qu’on m’a dit. A-t-on vraiment envie
de savoir si les gens qui font des choses
intéressantes sont sympas? Qu’est-ce que vous
en avez à foutre? Vous avez comme projet de partir
en croisière en Corse avec elle ou quoi?

Une bonne fois pour toutes : pourquoi
Madonna s’enfuit-elle avec le gamin à la fin du
clip que vous avez réalisé pour Open Your
Heart en 1986?
Il s’agit encore une fois de rédemption, un
thème lié à mon éduction catholique qui revient
inlassablement dans mon travail. À la fin de
tous mes projets, j’adore – comme dans les films
Dior – donner l’impression d’une échappatoire,
d’une fuite possible, d’un salut. C’est aussi
parce que, moi-même, je cherche toujours à fuir,
à ne pas me faire attraper.

Quelle est la rédactrice en chef la plus odieuse
avec laquelle vous ayez jamais travaillé?
Les gens odieux ne durent pas, donc je
ne m’en souviens pas... Quant à vous, vous
devriez être vigilant!

Avedon, Guy Bourdin, Irving Penn, David
Bailey – avaient tous leur propre studio et labo,
ils développaient eux-mêmes leurs photos et
réalisaient eux-mêmes leurs tirages, ce qui n’était
pas mon cas. J’ai donc débuté en utilisant un
Pola – le Polaroid SX-70 venait tout juste d’être
lancé – qui était un miracle, et qui m’a permis
de me faire un œil. J’ai commencé à avoir du succès
parce que l’image que j’avais des femmes
n’était pas celle d’une fille en harnais, ni celle d’une
petite fille rouquine avec du blush et des
cheveux mousseux...


Sympa pour Helmut Newton et Guy Bourdin...
Deux monstres de la photographie que je
connaissais mal. Pour moi, une fille de ma
génération avait plutôt les cheveux courts ou
rasés, parce que je fréquentais les punks
de Londres ou la bande du Palace à Paris, et que
j’avais une vision de la génération qui allait
suivre. J’avais – et j’ai toujours – cette tendresse
pour les femmes un peu androgynes, un peu
rock, que n’avaient pas les photographes
d’avant, quelle que soit la qualité de leur travail.
J’avais une fraîcheur. La jeunesse a cette
force : elle prend ce qui a été fait et elle le recrache
naïvement, mais avec fougue. Par la suite,
pour travailler, j’ai bénéficié des studios ouverts
par les journaux, l’un des premiers ayant été
celui de [Daniel] Filipacchi, rue des Acacias,
justement.


Vous digressez, c’est une horreur.
Revenons-en au spot Jean Paul Gaultier, si ça
ne vous dérange pas.
Justement, j’y arrive. Si certains journaux



  • Façade, le journal du Palace, i-D, The Face,
    Actuel... – m’ont permis de développer mon
    travail photographique, et que certaines chaînes
    de télévision – M6 et MTV, notamment – m’ont
    offert une plateforme pour expérimenter
    avec les films, la publicité, elle, m’a appris la
    direction artistique. Pendant des années,
    les maisons de couture comme Patou ou Yves
    Saint Laurent se contentaient de sortir un
    parfum tous les dix ans. C’est avec la déflagration
    Calvin Klein – qui, en vendant seulement
    des slips a su révolutionner la parfumerie – que
    ce modèle a volé en éclats. D’un seul coup,
    il y a eu une démocratisation du parfum qui
    n’existait pas au préalable. Je connaissais Jean
    Paul, bien évidemment, j’avais déjà fait des
    photos pour lui, nous avons bénéficié d’une
    liberté extraordinaire lorsque nous avons réalisé
    ce spot. Le parfum avait été entièrement
    conçu – l’odeur, le flacon, le packaging, la direction
    artistique – par le créateur lui-même. Tout
    le monde avait un doute sur ce lancement, sauf
    lui et moi. Ils ont eu tort, le parfum a été un
    énorme succès.


Profil – Jean-Baptiste Mondino


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