Numéro N°206 – Septembre 2019

(Rick Simeone) #1
Réalisation

: Marco Manni. Coiffure et maquillage

: Malou chez Backstage Agency

Par Delphine Roche, portraits Raphaël Lugassy


les enrichissant d’influences éclectiques.
Alors qu’une partie du rap francophone s’enlise
dans des productions trap stéréotypées qui
atteignent rarement la finesse de celles de leurs
collègues américains, les instrumentations
de ses morceaux explorent des sonorités
diversifiées. “J’écoute toutes sortes de musiques,
du rap, de la soul, de la musique nigériane, africaine,
indienne, chinoise, japonaise. Particulièrement
quand je suis en période de création. J’ai
conçu mon premier album un peu comme une
playlist de tout ce que j’ai écouté dans ma vie, en
l’ouvrant un maximum à tout ce que j’aime.
Je voulais aussi éviter d’être mis dans une case :
du coup, si on m’entend demain sur un
morceau dancehall, pop ou années 80, ça
semblera naturel.”
À l’instar de Nekfeu, S.Pri Noir incarne un
nouvel archétype du rap français, tout à la fois
légitime dans ce style musical et capable
de s’adresser au grand public non initié. Ainsi
n’est-ce pas un hasard si le jeune homme cite
volontiers France Gall ou Michel Berger parmi les
paroliers qui l’inspirent. Loin de diluer sa
radicalité pour s’émanciper de la “case” rap, il
préfère en explorer tout le potentiel et l’étirer, de
façon ambitieuse, au-delà des a priori et des
attentes, quitte à surprendre ses propres fans.
Dans une époque où l’industrie musicale scrute
obsessionnellement le nombre de streams et de
vues sur YouTube, lui donne la priorité à son
intégrité artistique. “Si je fais des millions de
streams et de vues, évidemment je suis super
content, ça me motive encore plus. Mais si ce
n’est pas le cas, ça ne me pose aucun problème.
Le public a le droit de ne pas comprendre ou de
ne pas aimer. Si je sors vingt-deux sons et
qu’aucun ne marche, là oui, d’accord, je ferai une
remise en question totale. J’ai un mental de
compétiteur mais je suis en compétition avec
moi-même, pas avec les autres. J’ai eu des
discussions avec des collègues rappeurs obsédés
par les chiffres. Ça peut niquer leur rap.
Personnellement, si je suis content de ce que

Il est une des figures de proue d’un nouveau rap
français qui brille par sa sophistication. Fort d’une
street credibility impeccable, S.Pri Noir a grandi
aux Fougères, une cité du XXe arrondissement
parisien, avec sa mère émigrée du Sénégal. Le
quotidien en bas des barres d’immeubles,
l’expérience du racisme, les codes de la rue font
partie du storytelling qui le rattache à la tradition
du rap conscient, porte-parole d’une jeunesse
française encore stigmatisée et délaissée par les
politiciens. Impliqué dans la lutte contre les
inégalités, S.Pri Noir mentionne aussi fréquemment
la responsabilité de la France dans les
problèmes de l’Afrique. Alors, pour bien faire
passer ses messages, le jeune prodige cisèle ses
textes et s’investit à 100 % dans l’écriture. “Pour
moi c’est la base, je viens d’un quartier où on ne
peut pas dire n’importe quoi. Où les gens sont
hyper critiques, dans le bon sens du terme...
où on essaie de te tirer vers le haut. J’ai grandi
en écoutant beaucoup de R’n’B et de rap
américain. Sinon, j’étais plutôt sur des sons
assez commerciaux comme ceux de Doc Gynéco
ou comme Je danse le Mia, d’IAM. Quand j’ai
voulu commencer à rapper, je me suis donc
mis à écouter beaucoup de rap français pour
savoir ce qui se faisait. J’ai étudié ceux qui
sortaient des vrais textes, en aspirant à me hisser
à leur niveau.”
Après ses premiers freestyles en 2009, il
lance rapidement un label, Nouvelle École, avec
des amis rappeurs de son quartier. Très vite, il
rencontre aussi Nekfeu, aujourd’hui devenu
une star, avec qui il collaborera souvent par la
suite. Après deux mixtapes, son premier album
Masque blanc, qui sort en 2018, donne un
aperçu de toute la richesse de son univers. Son
titre, bien sûr inspiré de l’ouvrage de Frantz
Fanon, Peau noire, masques blancs, pose
d’emblée la volonté d’évoquer les séquelles de
la colonisation de l’Afrique par les Européens.
Avec vingt-deux titres, l’opus explore une
grande variété de styles, attestant d’un désir
de renouveler les codes du rap hexagonal, en


S.PRI NOIR


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