Numéro N°206 – Septembre 2019

(Rick Simeone) #1

Sacré numéro – Isabelle Huppert


davantage saisir l’être que le faire. Ce qui
se dépose, nous ne le maîtrisons pas, nous n’en
sommes pas complètement responsables.
C’est ce qui fait la force d’un film.


De quoi est-on responsable en tant qu’actrice?
On n’est pas responsable d’un film. Il n’est
pas le nôtre. Mais on est responsable de ce qu’on
fait... ou qu’on n’a pas été conscient de faire.


On est responsable de son inconscient?
Et comment! Personne n’en est plus responsable
que soi-même. C’est au moins une chose
dont on peut être sûr.


Après les dizaines de films dans lesquels
vous avez joué, avec Michael Cimino, Claude
Chabrol, Jean-Luc Godard, Hong Sang-soo,
Werner Schroeter, Mia Hansen-Løve, André
Téchiné ou encore Patricia Mazuy, avez-vous
l’impression d’avoir accédé au langage des
cinéastes?
Oui, bien sûr. Mais c’est de l’ordre de l’intuition,
pas du savoir-faire. Ce n’est pas une notion
théorique que j’aurais apprise film après film.
L’expérience n’apprend rien.


Un acteur ou une actrice ne choisit pas la prise
qui sera utilisée.
En principe non! Chabrol avait une théorie
là-dessus : selon lui, que l’on choisisse


une prise ou une autre, le film restait le même.
Je vois ce qu’il voulait dire. Mais bon, il faudrait
vérifier! Je me souviens que sur Une affaire
de femmes, à la bonne époque où on allait voir
les rushes ensemble...

Je me permets de vous interrompre : vous
parlez d’une “bonne époque”, car celle-ci est
révolue?
On avait un contact plus direct à la fabrication
des films. Maintenant, on ne voit plus les rushes.
On regarde parfois des scènes sur le combo
[petit écran vidéo installé près de la caméra] après
les prises, pour ceux qui vous laissent le faire,
ou ceux qui vous y invitent volontiers, ou même
qui le réclament comme Michael Haneke. Contre
toute attente, et à rebours de l’image du créateur
tout en contrôle qu’il a, Michael adore qu’on
soit près de lui pour rectifier des détails.

Revenons à Une affaire de femmes.
Eh bien, dans les rushes que j’avais vus un soir,
je préférais une prise à celle que Claude [Chabrol]
avait choisie. Ça ne lui a posé aucun problème.
Il a choisi ma préférée, comme si c’était sans
conséquence. Étant donné qu’il ne me dirigeait
pas du tout et ne me disait jamais quoi faire, il
y a certaines scènes où je pensais : que je la fasse
un peu gaie ou un peu triste, cela ne changera rien.
Les petites variations n’avaient que peu d’importance,
car un regard plus global était à l’œuvre.

“Il y a toujours une forme


d’autoportrait dans mes rôles,


même si personne ne connaîtra


ma vie à travers les films


que je tourne. Quelque part, une


vérité se cache.”


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