Numéro N°206 – Septembre 2019

(Rick Simeone) #1
Chabrol est mort depuis longtemps.
Oui, depuis une dizaine d’années.

On a l’impression que vous restez dans le pur
présent, sans mélancolie.
Il y a de la tristesse, forcément. Mais il y a aussi
la satisfaction d’avoir fait les choses. C’est
toujours mieux que les regrets. J’ai tourné sept
films formidables avec lui, tout comme j’ai
fait deux très beaux films avec Werner Schroeter,
que j’aimais aussi. Je ne dis pas que ça rend
la mort plus supportable, mais quelque chose
continue à vivre de cette manière-là.

Cela vous arrive de revoir les films?
Parfois, mais pas de manière délibérée.

Il n’y a pas de “Chambre verte” chez vous
pour revenir sur le passé?
Ah non, pas du tout. J’ai vu que le film Violette
Nozière était repassé récemment à la télévision,
mais je ne l’ai pas vu. J’ai revu quelquefois La Porte
du paradis de Michael Cimino, cela m’émeut
toujours. Trop peu de gens l’ont vu à sa sortie et
cela crée toujours un petit événement quand
il est projeté. C’est comme un enfant mal-aimé
qu’on finit par aimer. On n’a jamais assez de
mots pour dire combien on l’aime.

Dans Frankie, cette réplique savoureuse sort
de la bouche de votre personnage :

“Je suis très photogénique.”
C’était écrit dans le scénario. J’ai dit la réplique
de manière innocente, de dos, en train de nager,
en plan général...

Mais dans la bouche d’une actrice, ces mots
portent un sens.
J’ai été étonnée que beaucoup de gens
m’en parlent. Les acteurs, généralement, sont
photogéniques. Mais on pourrait plutôt parler
de la cinégénie. On peut être très photogénique
et moins cinégénique.

Comment définissez-vous la cinégénie?
La première fois que j’ai entendu ce mot, c’était
dans la bouche de Benoît Jacquot. C’est
difficile à définir. Un visage qui s’anime de manière
particulière alors qu’il est filmé. Un visage ou
un corps. Le corps aussi peut être cinégénique.
Une manière d’être présent aussi, d’être là,
vraiment là. Le cinéma, on pourrait dire que c’est
à la fois une présence et un présent.

Votre rôle dans Elle de Paul Verhoeven a créé
des débats autour du viol. Comment envisagez-
vous la manière dont le cinéma croise les
préoccupations contemporaines?
Je suis peut-être naïve et inconsciente, mais je
n’ai pas tourné Elle avec l’impression de
transgresser quelque chose. Plutôt que l’idée
du scandale potentiel ou la torsion d’une

“La cinégénie, c’est difficile


à définir. Un visage qui s’anime de


manière particulière alors qu’il est


filmé. Un visage ou un corps.


Une manière d’être présent aussi,


d’être là, vraiment là.”

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