Numéro N°206 – Septembre 2019

(Rick Simeone) #1

Propos recueillis par Philip Utz


de l’endroit où j’étais, pas plus aujourd’hui
que dans ma cité du 9-3. J’ai toujours eu une
espèce d’insatisfaction – ou de curiosité,
je ne sais pas – qui me pousse à élargir mes
horizons, à aller voir ailleurs. Et je n’ai aucune
nostalgie : je serais incapable de vous dire,
par exemple, que j’ai connu des périodes qui
étaient mieux que d’autres. Même pas celle
où j’ai perdu mes cheveux, c’est dire.

J’ai vu que vous n’aviez que très rarement
participé à des expositions au cours de votre
carrière...
Je ne l’avais jamais fait jusqu’à ce que Babeth
me demande de présenter mon travail pour
Numéro au Studio des Acacias.

Et vos photos de vaches à la galerie Milk
en 2012, ça compte pour du beurre?
Merci de me le rappeler. Il s’agissait d’une série
de photos que j’avais réalisées pour Philippe
Starck et l’hôtel Hudson à New York, en pleine
crise de la vache folle. D’où l’idée de
photographier des bovins affublés de grands
chapeaux issus des collections de haute
couture. D’autant que je savais que je n’aurais
pas de soucis de droits à l’image avec cette
personne – à savoir la vache – et que du coup
je pourrais l’exposer comme je voulais.

À quel âge avez-vous su que la photographie
vous intéressait?
Jamais.

Comment ça, jamais?
Jamais. La photo ne m’intéresse pas.

Alors pourquoi vous en faites?
Ce sont les images qui m’intéressent, et non
les photos, ce qui n’est pas tout à fait la même
chose. D’ailleurs, je n’ai toujours pas d’appareil
photo à moi. Le médium m’importe peu – qu’il
s’agisse d’un coup de crayon, d’un appareil photo
ou d’une caméra vidéo, pour moi, c’est du
pareil au même – tout ce qui compte, c’est l’image
qui en résulte.

Vous souvenez-vous de la première image qui
vous ait marqué?
Oui, il s’agissait certainement de Jésus-Christ
sur la Croix.

Pardon, j’ai mal entendu. Vous parliez de
Christian Lacroix?
Au secours, on lui dit : “Jésus-Christ sur la Croix”
et il entend “Christian Lacroix”, que j’aime beaucoup
au demeurant, mais clairement, j’ai affaire à

NUMÉRO : Vous travaillez pour Numéro
depuis le lancement du magazine, il y a de cela
plus de vingt ans, comme moi... mais comment
avons-nous pu tenir jusque-là?
JEAN-BAPTISTE MONDINO : Sympa, la
première question, ça commence bien. Écoutez,
on ne va pas se plaindre, parce qu’on est quand
même bien chez Numéro. Il y a une vraie forme
de résistance dans ce magazine, qui comporte
par ailleurs tous les ingrédients que j’aime.


Qu’entendez-vous par “résistance”?
Une vraie résistance par rapport à une époque
qui se voue au culte de la célébrité. Numé ro
reste un magazine de mode, au sens noble du
terme. Il a su garder la mode au centre de
son expression.


Comment avez-vous rencontré notre délicieuse
directrice de la rédaction, Babeth Djian?
Je l’ai rencontrée dans les années 80, où nous
avons collaboré sur de nombreuses prises de vue
pour des magazines tels que The Face, Glamour,
American Woman, etc. Je n’ai pas eu la chance,
hélas, de travailler avec elle pour son magazine
Jill, mais elle faisait partie du peloton des jeunes
rédactrices de mode créatives qui comptaient,
au même titre que Carine Roitfeld.


En quoi la presse féminine a-t-elle changé
depuis ces années-là?
Les choses changent, le monde évolue et la
principale qualité de la mode est d’être tout le temps
dans la mutation pour épouser et annoncer les
mouvements de son époque.


Bref, où avez-vous rencontré Babeth pour la
toute première fois, concrètement?
Je ne m’en souviens plus. Je suis trop vieux.


N’avez-vous jamais fait l’amour ensemble?
Non. Je ne dois pas lui plaire.


Comment diable avez-vous fait pour passer
entre les mailles du filet #MeToo qui a mis fin
à la carrière de tant d’autres photographes de
renom?
Je ne me sers pas de mon appareil photo
comme de mon sexe.


C’était sympa le quartier du 9-3 dans lequel
vous avez grandi?
Quand on grandit quelque part, on ne sait pas
ce qu’il y a ailleurs, donc on ne fantasme pas sur
les choses qu’on ne connaît pas. Mon cadre
de vie m’a donc toujours paru intéressant, mais
en même temps, je n’ai jamais été content


Profil – Jean-Baptiste Mondino


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