TAC AU TAC
PARLEZ-NOUS DE VOS ANNGES EN FRANCE.
C’était le milieu des années 1960, j’étais censée étudier la civi-
lisation française à la Sorbonne, mais je ne suis pas allée en
cours, je n’ai d’ailleurs jamais vraiment appris le français... Mais
j’ai été complètement absorbée par la culture de la nourriture :
tout était beau, vivant, je n’avais jamais vu ça. Les gens allaient
au marché deux fois par jour chercher des produits super frais,
ils passaient deux heures à table, midi et soir, en famille, c’était
beau comme quotidien. Je suis rentrée à Berkeley avec l’objectif
de proposer ce modèle chez nous, et je travaille là-dessus depuis
presque cinquante ans!
CETTE CULTURE A-T-ELLE GTG FACILE À REPRODUIRE?
Finalement, ce sont des valeurs universelles que de manger local,
intelligent, de saison, et de partager avec les gens qu’on aime
un bon repas. La nourriture a littéralement changé ma vie, et
je crois qu’elle peut changer le monde. Aux États-Unis, on est
depuis trop longtemps dans une logique de fast food, on veut
manger rapidement, pas cher, pratique, facile... Les gens ne se
rendent pas compte des conséquences absolument désastreuses
que ces pratiques ont sur l’agriculture et sur l’environnement
à grande échelle, mais aussi sur notre santé et surtout sur nos
relations avec les gens, qui deviennent inexistantes. Un chiffre
effrayant résume bien la situation : aux États-Unis, 85 % des
enfants prennent leurs repas seuls, sans leurs parents, dans
leur chambre ou devant l’ordinateur. Où est passée la culture du
partage? Mais une chose est sûre : les gens peuvent facilement
retomber amoureux de la nature, elle est notre mère à tous. On
nous a simplement arrachés à elle, il suffit de nous reconnecter.
QUELLE MANGEUSE ÊTES-VOUS, AU QUOTIDIEN?
Je suis toujours curieuse, toujours à la recherche de « nourriture
bonne, propre, et juste » (NdlR : c’est d’ailleurs le mantra du mouve-
ment Slow Food dont Alice est vice-présidente), donc je cherche des
endroits où il y a de vrais liens avec les fermiers et les producteurs
locaux, où l’on prend soin du sol et de la Terre dans son ensemble.
C’est une décision politique de manger comme ça, mais c’est une
décision délicieuse. J’ai une petite routine, tous les jours, qui ne
change jamais : dès que je me lève, je prends un bain. Ensuite, vers
7 h 30, je vais marcher pendant environ une heure, je reviens et
je fais un peu d’exercice, puis je me fais une tasse de thé chinois
pu-erh, un thé fermenté assez fort. Au départ, je le prenais pour
lutter contre le cholestérol ; je pensais que je n’arriverais jamais
à me passer de mon bol de café au lait, et finalement, j’y suis
arrivée, je bois mon thé chinois tous les matins... dans mon bol à
café au lait (rires)! Avec ça, je mange du pain complet que je fais
griller sur le feu, ou une tortilla très fine avec de l’avocat dessus,
ou encore une omelette avec des légumes et des herbes. C’est
mon petit moment, souvent debout, en lisant le journal.
ET COMMENT SE POURSUIT VOTRE JOURNGE?
Je travaille seule à la maison les premières heures : je réponds
aux e-mails, puis je vais au restaurant. Là, soit je monte dans
mon bureau pendant le service, avec une assiette de salade et un
morceau de poisson ou ce que je trouve sur le comptoir, soit – et
c’est le cas trois fois par semaine au déjeuner, et deux fois par
semaine au dîner – j’ai un repas d’affaires Chez Panisse, et là, c’est
toujours un exercice pour moi parce qu’il faut à la fois que je parle
sérieusement tout en montrant que j’apprécie la cuisine. Et puis
surtout, ces jours-là, je mange plus que ce que je devrais... mais
c’est le jeu, et ça me permet de faire mes retours à la cuisine sur
le menu du moment! Je goûte d’ailleurs les plats tous les jours,
et j’en discute avec les chefs par la suite.
QUAND VOUS ALLEZ AU RESTAURANT, N’IMPORTE
OÙ DANS LE MONDE, QU’EST-CE QUE VOUS VENEZ
CHERCHER?
C’est drôle, parce que j’apprécie à la fois la familiarité de retourner
dans un endroit que j’aime, où je me sens bien, en sachant ce que
je vais y trouver, par exemple le comptoir du restaurant Semilla
à Paris, que j’adore... et la découverte d’un nouvel endroit, qui me
sort de ma zone de confort. J’ai fait des rencontres absolument
Alice Waters
DGLICIEUSE
RGVOLUTIONNAIRE
Alice Waters tombe amoureuse de la cuisine et de la culture du bon
en venant en France, à 19 ans. Elle rentre aux États-Unis en se disant
« je veux vivre comme ça » et ouvre le restaurant Chez Panisse en 1971.
Elle fonde le Edible Schoolyard Project, le grand but de sa vie :
révolutionner les façons de manger en Californie et, qui sait,
peut-être partout dans le monde.
TEXTE RAPHAËLE MARCHAL