TAC AU TAC
15 automne 2019
© Amanda Marsalis
fascinantes comme ça, en parlant avec
les cuisiniers, ou même à mes voisins. En
revanche, je suis moins à l’aise toute seule
à une table, je préfère la camaraderie d’un
comptoir. J’aime la beauté du restaurant
en lui-même ; la création d’un espace et
son occupation m’inspirent beaucoup,
c’est pareil que de créer des plats pour
moi. J’aurais d’ailleurs été architecte si
je n’avais pas choisi ce métier. Il faut que
l’arrière-cuisine soit aussi belle que l’entrée
du restaurant, on ne peut pas servir des
plats délicieux dans un endroit qui n’est
pas intégralement beau, il ne faut rien
cacher, voir les choses dans leur ensemble,
c’est ça la vraie beauté. D’où ma passion
pour les comptoirs!
PARLEZ-NOUS DE VOTRE
GRAND PROJET POUR L’ÉTAT
DE CALIFORNIE.
Quand j’ai créé le Edible Schoolyard Project,
la « cour d’école comestible », au collège
Martin-Luther-King de Berkeley, il y a
vingt-cinq ans, l’idée était de donner des
cours traditionnels (sciences, mathéma-
tiques, anglais, art...) au sein d’un potager
ou d’une cuisine, de lier l’académique à
la nourriture et au bon sens de la nature.
J’avais en tête une cafétéria suffi samment
grande pour accueillir tous les étudiants
et servir un déjeuner gratuit, axé sur les
valeurs de durabilité, le local, le bio, la
saison... le B.A.-BA. J’ai essuyé quelques
déceptions, notamment en ce qui concerne
le réfectoire, mais le potager-cuisine a été
un grand succès et a beaucoup essaimé.
Aujourd’hui, je suis très excitée parce
que nous avons un nouveau gouverneur
de Californie dont je suis assez proche, et
il vient de me dire qu’il allait appliquer
toutes mes propositions liées à l’éducation
comestible.
CONCRÈTEMENT, COMMENT
LE PROJET VA-T-IL S’ARTICULER?
On va acheter les légumes, la viande, les
œufs... en direct aux fermiers locaux qui
prennent soin de la terre, et on va servir dans les écoles des repas
durables, intelligents, équilibrés, apprendre aux jeunes les vraies
valeurs oubliées de la nourriture, et se recentrer sur l’essentiel. J’ai
encore du mal à y croire et pourtant c’est vrai, c’est formidable.
Ils auront dans leur assiette une majorité de bons légumes bio,
locaux, de saison. Je veux servir de la nourriture qui existe chez
nous et qui fait partie de notre culture, des céréales complètes et
faciles à trouver. L’idée, c’est de ne rien faire venir de loin, à part
quelques épices bien sûr. Je voudrais qu’on amène le pays à un
régime où la nutrition démarre dans la terre. Il s’agit fi nalement
de localiser le système de la nourriture, de revenir à son origine,
de travailler avec des plus petites fermes, peut-être même que
chaque école adopte une ferme.
VOUS CROYEZ DONC VRAIMENT À CETTE RÉVOLUTION
DÉLICIEUSE?
Complètement! On pense que c’est diffi cile, que c’est trop tard,
que ça prendrait trop de temps, que ça coûterait trop cher, que
ce serait éreintant, et j’en passe... alors que pas du tout, c’est très
simple, on a trop de croyances en nous qui sont fausses, il faut
arrêter la fast food et passer à la slow food, évoluer et s’adapter.
Et à long terme, cette solution sera plus rentable, sur tous les