Fou De Cuisine N°17 – Automne 2019

(lily) #1

A


lors ça y est, l’écologie est enfin un sujet


qui arrive chez tout le monde, et ça c’est


quand même bien parce que si vous voulez
mon avis, on s’est embarqués dans un truc
plutôt chelou en faisant n’importe quoi
depuis cinquante ans. Tout le monde y va

donc de sa petite initiative pour sauver la


planète, et dans le milieu de la food, le truc
qui cartonne, c’est de dire que le chef cuisine les légumes

qu’il a fait pousser.


On ne peut plus lire un communiqué de presse sans qu’il soit


mentionné que les carottes viennent directement du potager

de mémé, que le pain a été pétri sur place, que les poissons


ont été pêchés avec gentillesse, le tout emballé dans un flot


de déclarations de bonnes intentions plus ou moins

vérifiables. Parfois, on se demande si on nous


prendrait pas un petit peu pour des jam-


bons (bio et à l’os).


Et puis un jour, j’ai reçu un mail me
parlant de la ferme de Garance.
Garance, c’est un joli restaurant étoilé
en plein cœur du 7e arrondissement,
très chic et tout, et je lis qu’« ils
cuisinent leurs propres fruits et

légumes, etc., etc., ETC. ». Sauf que


ça a l’air vrai. Guillaume (le proprio

du resto) a récupéré la ferme de


sa famille, et avec Charles-Arthur,

son cousin, ils élèvent des vaches


et font pousser des légumes et des
fruits qui atterrissent ensuite direct
dans les cuisines du restaurant, pour
le plus grand bonheur des clients.
Ni une ni deux, je demande à aller

voir, et me voilà dans le train direction


La Souterraine, ville qui porte parfaitement


son nom, vous sentez déjà rien qu’en achetant le billet que vous


allez tomber au beau milieu de nulle part (c’est le cas).


Direction La Thibarderie, la ferme de la familia, 160 hectares


tout de même, il y a de quoi faire pousser des salades.


La ferme est magnifique, ils en sont vachement fiers et ils ont
bien raison. C’est leur grand-père alsacien qui s’est installé là,

fatigué de voir les Allemands venir tout casser chez lui trois


fois par siècle. Et il y a quelques années, Guillaume a réalisé


le potentiel de cette ferme pour son affaire à lui. « Je voyais


autour de moi tous ces restaurants qui se faisaient mousser

parce qu’ils faisaient pousser de la ciboulette sur leur toit, et je


me suis dit “Hey, mais moi j’en ai une vraie de ferme”. »


Il en parle à Charles-Arthur, et ils décident de recommencer le


maraîchage, de mettre en place des cultures, le tout ÉVIDEMMENT

de manière ultra-quali : bio (limite permaculture), pleine terre,


récolté à la main par Clément, un passionné qui fait pousser des


merveilles. Je marche au milieu des plants de tomates, de choux,

d’asperges, de navets ou de rhubarbe, pendant que Guillaume


dresse la table sous les arbres et nous prépare des œufs au plat,


des steaks de l’espace mais aussi une salade cueillie sous mes


yeux et des POMMES DE TERRE dont je rêve encore la nuit. Après

ce déjeuner de rêve, nous partons parcourir les terres en 4 x 4 à


la recherche des vaches (et c’est tellement immense qu’il nous a


fallu une demi-heure pour trouver dans quelle prairie les coquines

étaient parties batifoler), et puis il se fait tard ma petite dame,


faudrait songer à rentrer, Guillaume me redépose au train, j’ai


l’impression d’avoir quitté Paris depuis trois semaines.


Franchement, j’ai été touchée par l’énergie, la volonté, l’en-

gagement de ces trois personnalités (ils se font quand même


l’aller-retour avec Paris trois fois par semaine pour livrer


le resto en haricots et carottes fraîches) – mais
pour bien me rendre compte, il fallait
quand même que j’aille manger chez

Garance (obligée).


Ici, c’est le chef Alexis Bijaoui qui est
aux commandes. Pour me montrer
à quel point ils ne rigolent pas

avec leurs ingrédients, ils m’ont


préparé un repas entièrement

végétal, avec même une petite


infusion réalisée avec les plantes
du jardin ; le sens du détail, les amis,

ça ne s’invente pas. Je vais pas


vous la faire à l’envers, ce repas,

c’était de ouf, mais quand je dis


de ouf je pense DE OUF, depuis


la raviole de navet à la rhubarbe


qui m’a mis les poils au garde-à-
vous jusqu’à un fagot de haricots
verts d’une pureté totale, en passant par

une folie de carotte avec une fausse sauce au


curry dans laquelle il n’y avait que des plantes, et ça j’en suis


restée sidérée, comment on peut faire un truc aussi parfumé,


sans aucune épice venue du bout de monde et rien qu’avec des

herbes du jardin, ça me troue.


Au moment de partir, je demande à Guillaume s’ils comptent
prendre des vacances (histoire de se poser deux secondes).
« Ben non, répond-il, l’été c’est le moment où toutes nos cultures

donnent le plus, si on ferme le restaurant, alors on fait ça pour


rien. » Forcément, d’ailleurs, entre nous, c’est un bon moyen


de repérer les chefs vraiment engagés dans cette démarche


de la ferme à l’assiette, c’est pas au moment où les tomates


sont mûres qu’ils partent à Ibiza.


Et en attendant, vous qui partez en vacances, si vous passez


par La Souterraine, sachez qu’à la ferme de Garance, il y a un


gîte, et ça c’est de l’info en or ou je ne m’y connais pas.


De la ferme à la table,


pour de vrai


TEXTE CLAIRE PICHON
ILLUSTRATION SOLEDAD BRAVI

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EMBEDDED


automne 2019

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