Fou De Cuisine N°17 – Automne 2019

(lily) #1

En effet, notre sacro-saint blé, dont la culture est à l’origine de


notre propre civilisation, était inconnu en Amérique ; à sa place,


le maïs occupait le rôle d’aliment nourricier central. Il existait – et

il existe toujours – sur le continent des dizaines de variétés de


maïs : violet, bleu, multicolore, avec des grains très gros comme


le maïs blanc géant de Cuzco... il y avait donc de quoi faire. Mais


malgré sa polyvalence et sa diversité, le maïs n’affichait pas les


mêmes propriétés que le blé. Plus délicat à conserver, il avait un


autre inconvénient : même réduit en farine et additionné de
liquide, il ne s’agglomère pas. Impossible donc d’en faire une pâte,
et l’on ne parle même pas de pétrissage, le maïs étant exempt de

la moindre trace de gluten.


Heureusement, autour de 1500 avant notre ère, les peuples

résidant en Méso-Amérique inventèrent la nixtamalisation. Ce


mot compliqué d’origine aztèque désigne le processus suivant :


par ajout dans le maïs d’une solution alcaline (un mélange de


cendres de bois et d’eau faisait l’affaire), puis, avec la cuisson, la


macération et le rinçage, les propriétés de la céréale se modifient.
La peau des grains s’enlève, ceux-ci se conservent mieux et surtout,

après ce processus, il est possible d’en faire une pâte malléable :


la masa. Celle-ci peut s’agglomérer et former les crêpes de maïs


que nous connaissons sous le nom mexicain de tortillas. Elles

peuvent donc se préparer, se transporter, se stocker facilement.


« La masa est l’une des fondations des civilisations de cette région

du monde », expliquent Eric Werner et Mya Henry, chefs du res-


taurant Hartwood, dans leur livre publié chez Workman.


Étage 2 :


LE GRAND DÉBARQUEMENT


L’arrivée des Européens, au début du XVIe siècle, marqua une rupture
d’une violence inouïe, inégalée à l’échelle de l’humanité, dans

l’histoire des civilisations américaines. Elle se solda en quelques


décennies par la mort d’au moins 50 % de la population d’origine

du continent américain (les estimations les plus hautes parlent


de 95 %). Ce drame absolu, dont on a aujourd’hui encore du mal


à prendre la mesure, changea le visage du monde à jamais, et de

nombreuses civilisations natives (et leurs cuisines) sombrèrent


irrémédiablement dans l’oubli.


Par ailleurs, pour les conquistadors arrivant en Amérique, la

nourriture devint plus qu’un moyen de subsistance : c’était un


instrument politique, un indicateur de civilisation.

En effet, les populations indigènes du continent


américain étaient jugées inférieures, moins
développées. Suite à une intense réflexion, les
envahisseurs en arrivèrent à une constatation

imparable : les peuples d’Amérique mangeaient


du maïs, des avocats, des tomates et ils avaient l’air

barbares ; les Européens mangeaient du pain, du


bœuf, des olives et du fromage et ils étaient, selon

leurs propres critères, au comble du raffinement


et de la civilisation. Donc, pour éviter de se trans-


former en barbare, il fallait éviter la nourriture

des Amérindiens, CQFD. S’ensuivirent des siècles


durant lesquels les nourritures des peuples natifs
allaient systématiquement être considérées comme

inférieures, rustiques, peu dignes d’intérêt.


Pour éviter de se dégrader en mangeant les nourri-
tures autochtones, les envahisseurs décidèrent donc

Tortillas et tostadas


de maïs


Recette extraite de Paris Mexico, aller-retour gourmand


en 50 recettes – La cuisine de Bocamexa (éd. Keribus)


« Ces petites galettes ne maïs sont apparues
il y a plusieurs milliers n’années grâce à un paysan
bien inspiré qui voulut contenter son roi maya
et néanmoins affamé. Bien lui en a pris, puisque
cette tortilla est nevenue la base ne tous les repas
tranitionnels, sur toutes les tables nu pays. »

a RETROUVEZ LA RECETTE P. 128


© Juliette Ranck/Keribus Éditions


BIOPIC


FOU DE CUISINE 60

Free download pdf