C
’est tombé à peine une poignée
de jours après notre rencontre
avec Mauro Colagreco pour la
préparation de ce sujet : le 25 juin
dernier, Mirazur, son restaurant
triplement étoilé, décrochait la
première place du prestigieux
classement du 50 Best Restau-
rants of the World. Le meilleur
du monde, rien que ça, numero
uno, tous derrière et lui... devant.
La presse française cocoricotte
immédiatement (et à n’en plus
finir) sur le thème « enfin un restaurant fraaaaAAANNNçais
reconnu par ce classement estranger », et c’est assez ridicule.
Car Mauro Colagreco, né en Argentine, aime à se définir comme
citoyen du monde, et s’il porte une profonde affection à notre
pays, il s’est justement posé à Menton pour être près d’une
frontière. Celle avec l’Italie en l’occurrence, dont les trois quarts
de sa famille sont originaires.
Et sa cuisine ne se résume pas à l’Hexagone, loin de là, elle
est intensément ensoleillée, fine et voyageuse, elle se joue
des frontières, voyage sans attache, à l’inverse de la pompe
cocardière portée en étendard par certains représentants d’une
gastronomie française classique, se rêvant encore au sommet
du monde gourmand.
Mais qu’importe. Mauro sourit. Mauro éclate de joie. Il laisse
échapper sa formidable énergie vitale, sa gaieté communicative,
et ce sourire qu’il offre au monde comme un cadeau.
Revenons maintenant quelques jours avant, un petit matin
d’été dans le cœur du Marais, qui est le cœur de Paris. Peut-
être est-ce pour cela que ce restaurant de la capitale, porté
par Mauro, s’appelle GrandCœur. Ou peut-être simplement
parce qu’avec son associé, Julien Fouin, ils voulaient évoquer la
générosité, le partage et l’amour enfin, de la cuisine, de la vie.
Si vous ne connaissez pas encore ce magnifique restaurant,
qui possède sans doute l’une des plus belles terrasses de Paris,
imaginez-vous une majestueuse cour abritant un ancien relais
de poste, une salle en pierre brute ponctuée de touches d’or et
de bleu profond. En cuisine, c’est Nino La Spina qui, chaque jour,
orchestre la carte conçue par Mauro. Sicilien d’origine passé
par le Mirazur, Nino envoie chez GrandCœur une cuisine navi-
guant entre bistronomie et pré-gastronomie, directe, sincère,
toujours lisible et intensément gourmande. Avec Mauro, ils
ont à cœur de laisser parler leur amour de la Méditerranée, et
c’est tant mieux car Paris manque cruellement d’adresses aussi
intelligentes sur ce territoire. La carte repose sur une sélection
de produits excellents – brocciu corse, câpres de Pantelleria,
miel de Sicile, speck dell’Alto Adige –, qui viennent ponctuer
tartare de bœuf, minestrone, terrine de pintade ou tagliatelles,
et même un couscous.
Mais aujourd’hui, pour notre numéro consacré aux cuisines des
Amériques, nous avons préféré demander à Mauro une recette
faisant écho à son enfance argentine, à ses racines andines.
Il a donc choisi de nous préparer une belle pièce de pintade
accompagnée de carottes et de cumin. La carotte intervient sous
différentes formes : rôtie, en purée et même crue, fraîchement
mandolinée dans une salade de cresson et de suprêmes d’orange.
Il nous parle de cette composition : « L’Argentine est un pays
très vaste, c’est immense, et c’est surtout très long, alors on
a tous les climats. Cela va d’un temps antarctique à Ushuaïa
jusqu’au climat tropical aux chutes d’Iguassu. Le cumin que
j’ai mis dans cette recette est très utilisé en Argentine, il entre
par exemple dans les recettes d’empanadas, ou dans le locro,
un ragoût hivernal. On met du cumin dans beaucoup de plats.
Nous en avons de très bonne qualité d’ailleurs, il est produit
dans le sud-ouest du pays, une région très aride. Il fait très
chaud la journée et très froid la nuit, les plantes poussent donc
dans un environnement rigoureux et développent beaucoup
d’huiles essentielles. Mais c’est la même variété de cumin que
celle que vous utilisez en Europe, d’ailleurs je crois qu’elle a été
apportée par les Espagnols. (NdlR : c’est sans doute le cas car le
cumin est originaire du Proche-Orient, il ne semble pas y avoir
eu de variétés précolombiennes en Amérique ; mais n’hésitez
pas, chers lecteurs, à nous contacter si vous avez des éléments à
ce sujet.) On l’utilise énormément dans la cuisine du nord de
l’Argentine. C’est pour moi une recette parfaite pour entrer dans
l’automne, une belle transition pour quitter l’été qui, dans la
recette, est représenté par le soleil qu’apporte le cumin. Cette
épice évoque certes l’Amérique du Sud, mais d’autres pays
ensoleillés comme ceux de l’Afrique du Nord. Puis il y a cette
gourmandise de l’assiette, qui réchauffe, la viande et le jus,
et à côté, toujours chez moi, quelque chose qui va donner de
la fraîcheur. Ici c’est la salade de cresson avec les différentes
carottes passées à la mandoline. Cela apporte du croquant, de
la texture ; sans oublier les suprêmes d’orange et le zeste, qui
viennent encore rafraîchir le tout. Mais il faudra bien dire que
c’est une recette de GrandCœur et que donc elle appartient
aussi à Nino, c’est lui le chef au quotidien ici, je ne veux pas
faire semblant d’avoir tout fait (rires)! »
Puis il part avec Nino pour vous préparer cette recette qui raconte