Les Inrockuptibles N°1239 Du 28 Août 2019

(Romina) #1
J’aimerais... Il y a un texte d’Hannah Arendt sur la mort...
Elle parle de la manière dont on peut continuer à faire vivre
les morts. Elle y a réfléchi et c’est vraiment très beau.

Est-ce que vous pensez souvent au passé? Aux films
que vous avez tournés, à votre carrière? Est-ce que vous
vous adonnez parfois à des rêveries nostalgiques?
Je préfère le futur au passé. Ce que j’ai fait occupe moins de
place dans mon esprit que dans celui des spectateurs qui ont
vu les films, je crois. C’est normal. Je ne suis pas très portée sur
la nostalgie. Je crois que le futur est politique (rires)! Je ne sais
même pas très bien ce que veut dire cette formule, ça m’est venu
comme ça (rires)! Mais j’y crois.

Parfois, lorsque vous pensez à des artistes avec qui vous
avez produit des œuvres fortes, vous regrettez de ne plus
les voir ? Comme Godard, par exemple.
Ah oui, j’aimerais beaucoup le revoir. Ça ne se fera sans doute
pas. Je peux comprendre que lui n’en ait pas forcément envie.
Mais ça ne crée pas chez moi de chagrin ou de nostalgie.
Vous savez, faire un film avec quelqu’un implique une relation
très intense. Cette intensité se poursuit le plus souvent dans
le souvenir. Mais ce n’est souvent pas possible de prolonger
cette intensité dans une relation hors travail. C’est très rare que
ça arrive, et on n’en a pas forcément envie... Même Claude
Chabrol, je ne l’ai pas vu tant que ça en dehors de nos huit films
en commun. C’est un peu ingrat, et je l’assume complètement,
mais il n’y a que le travail qui me permet de voir les gens.

Et les disparus, est-ce que vous y pensez souvent? Y a-t-il
des gens qui vous hantent?
J’essaie de m’en protéger. Parfois j’ai du mal. Claude (Chabrol)
par exemple, je le tiens à distance. Les souvenirs avec lui, ce sont

Dans Frankie aussi, vous interprétez une actrice
française célèbre. Mais à l’opposé de l’autodérision de
Dix pour cent, vous nous avez dit à Cannes qu’Ira Sachs
essayait d’effacer toute forme d’ironie dans votre jeu.
Oui, ça m’a beaucoup frappée. Il me demandait souvent
d’appuyer moins, d’effacer les moindres marques de drôlerie,
de dérision. Il voulait une forme de blancheur, de platitude.
On ne se l’est jamais formulé, mais je pense que cette exigence
est liée à l’économie avec laquelle il a représenté la maladie de ce
personnage. Elle va mourir, mais on ne parle quasiment jamais
de son cancer, on ne la voit jamais souffrir. L’absence de
toute forme d’ironie, la recherche d’une forme de nudité dans
le jeu étaient une façon d’atteindre à une fragilité qui rend
possible d’être aussi elliptique sur la maladie. On n’en parle
quasiment jamais, mais on ressent un poids, une totale absence
de légèreté. C’est un cinéaste vraiment très fin, Ira Sachs.

Pensez-vous que la mort est un point final ou avez-vous
un rapport plus spirituel à l’existence?
Vous me posez la question à moi? Oh! là, là... (elle réfléchit
longuement) J’aimerais penser que ce n’est pas un point final...

“Vous savez, faire un film avec
quelqu’un implique une relation
très intense. Cette intensité
se poursuit le plus souvent dans
le souvenir”

Malina de Werner
Schroeter (1991)

La Cérémonie
de Claude Chabrol
(1995)

La Pianiste
de Michael
Haneke
(2001)

Thomas Klausmann/Kuchenreuther Filmproduktion GmbH


MK2 Diffusion

MK2 Diffusion

Peu à peu, le jeu d’Isabelle Huppert
évolue vers un registre plus physique,
convulsif, où chaque geste est aussi
une pensée

Les Inrockuptibles 28.08.2019 12

Rentrée cinéma
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