Les Inrockuptibles N°1239 Du 28 Août 2019

(Romina) #1
époque où les dirigeants avaient compris que la culture était
un levier politique. La culture n’est plus tellement envisagée de
cette manière aujourd’hui, et c’est inquiétant.

Une chose s’est peut-être transformée aussi depuis vos
débuts dans le cinéma, c’est que les films y sont moins
majoritairement structurés par un regard masculin...
J’ai le sentiment que depuis le début je me suis débrouillée
pour faire des films qui n’étaient pas structurés simplement
par un regard masculin.

Justement, hier, pour préparer cette interview, nous
avons regardé des extraits de vos films et nous
sommes tombés sur une scène de La Femme de mon pote
de Bertrand Blier. Coluche vous administre une gifle en
vous disant de ne plus semer la discorde entre lui et son
meilleur ami. C’est d’un sexisme assez violent à revoir.
Oui, en effet. J’aurais pu ajouter à ce que je vous ai dit :
“A part peut-être La Femme de mon pote” (rires). Et encore,
il y avait dans le scénario des scènes plus dures que j’ai refusé
de tourner et que Bertrand (Blier) a supprimées. Mais ce
personnage de fille séductrice était quand même très magnifié,
intéressant à jouer. C’est un objet d’amour. J’y ai trouvé un
équilibre qui pouvait me convenir.

La place accordée aux personnages féminins dans
une fiction a été un souci pour vous très tôt?
C’était moins un souci qu’une évidence. J’ai toujours été
féministe sans le savoir. Il y a beaucoup de choses que je suis
sans le savoir, d’ailleurs (rires). Mais c’était aussi du
pragmatisme. A l’époque où j’ai commencé à faire du cinéma,
je ne correspondais pas tout à fait aux canons d’une vedette
féminine de cinéma. Le cinéma traditionnel glorifiait la

des choses dont je n’aime pas trop m’approcher. Werner (Schroeter),
c’est vraiment quelqu’un que j’aimais énormément et j’ai vécu
des expériences de cinéma tellement folles avec lui...
Evidemment, avec l’un comme avec l’autre, quelque chose reste :
j’ai fait des films formidables avec eux. Mais il y a aussi des gens
disparus que l’on a aimés et avec qui on n’a pas tourné de films.
Dans ce cas, il ne reste rien, sinon les souvenirs. C’est là que
la lecture d’Hannah Arendt peut aider. Il y a un autre très beau
livre pour ça, c’est L’Année de la pensée magique de Joan Didion,
qu’elle a écrit juste après la mort de son mari.


Quel est votre point de vue sur cette conclusion d’un
rapport commandé par le gouvernement à l’actuel
directeur du CNC, affirmant que l’on produit trop
de films en France?
Je pense que, statistiquement, plus on en produit et plus on a
de chances qu’il y en ait de très bons. Et peut-être qu’il y a trop
de films tournés en France, mais il n’y en a plus du tout assez
dans tous les autres pays d’Europe. C’est donc un moindre mal.
Bon, d’un point de vue pratique, on peut se dire parfois qu’il y
en a trop de mauvais, ça c’est sûr (rires)! Mais trop en général,
non, je ne pense pas. Dire le contraire est un discours dangereux
et il faut préserver envers et contre tout le dispositif qui protège
le cinéma d’une pure logique de profit.


Depuis vos débuts dans le cinéma, trouvez-vous
le paysage très transformé?
Un certain type de films se faisait beaucoup plus facilement
à mes débuts. C’était plus facile de faire Loulou (de Maurice
Pialat) et La Dentellière à l’époque où je les ai tournés. Et surtout,
c’était plus facile de les faire marcher. Ces deux films ont réuni
chacun autour d’un million de spectateurs! J’ai l’impression qu’il
y a un climat général qui met la culture en danger. Il y a eu une


White Material
de Claire Denis
(2010)

Abus de faiblesse
de Catherine
Breillat (2014)

Elle de
Paul
Verhoeven
(2016)

8 Femmes de
François Ozon
(2002)


In Another
Country de
Hong
Sang-soo
(2012)

Wild Bunch Distribution SBS Distribution

Flach Film Production/Rézo Film

Jeonwonsa Film Co./Diaphana Distribution

Jean-Claude Moireau/BIM, Canal+, Centre National
de la Cinématographie, Fidélité Productions

13 28.08.2019 Les Inrockuptibles

Entretien Isabelle Huppert
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