Les Inrockuptibles N°1239 Du 28 Août 2019

(Romina) #1
n’a pas à recourir, parce que cette autorité lui est conférée
naturellement par la société.

Le highlight de reconnaissance qu’a constitué Elle
de Paul Verhoeven, jalonné de trophées américains,
est-ce que ça crée ensuite une décompensation?
Etes-vous inquiète que ça ne se reproduise plus?
Ah non, pas du tout... D’ailleurs, j’ai eu un prix
d’interprétation à Locarno ensuite pour Madame Hyde (de Serge
Bozon – ndlr) et ça m’a fait plaisir aussi. Le phénomène
dont vous parlez autour d’Elle, je ne cherche pas du tout à le
reproduire. Chaque film a son histoire. Certains ont des histoires
très confidentielles mais comptent aussi beaucoup pour moi.

Vous êtes-vous déjà demandé si vous n’aviez pas été
actrice, ce que vous auriez pu être?
J’aurais vraiment été dans l’embarras. Si on compare à d’autres
métiers comme chanteur, danseur..., actrice c’est un peu ce qui
reste quand on ne sait pas trop ce que l’on sait faire. C’est un peu
comme quand on réchauffe les plats de la veille (rires). Je n’ai
jamais rêvé d’être actrice. Petite fille, la représentation imaginaire
de moi qui me faisait rêver, c’était patineuse! Chanteuse un
peu... Mais pas du tout actrice. Car les représentations qu’offrait
le cinéma quand j’étais enfant n’avaient, comme je vous le disais,
rien à voir avec ce que j’étais. Du moins, je le pensais. Peut-être
que ce n’était pas si vrai. Le chemin qui m’y a menée est
très inconscient et assez mystérieux. Il n’est pas du tout passé
par le cinéma car, quand j’ai commencé, je n’avais pratiquement
vu aucun film. Le goût du cinéma est venu en en faisant.

Vous avez déjà envisagé de tourner des films?
Je lisais hier une interview de Sandrine Kiberlain qui disait
qu’elle allait réaliser un film. Elle décrivait bien ce dont elle avait
envie, ce dont elle avait besoin. Et disait que ça lui permettait
de prendre une place différente, du côté des décisions et du
pouvoir. Ça me faisait réfléchir sur moi. J’ai l’impression
que c’est une question de territoire. Il y a un territoire que l’on
assigne à juste titre à l’actrice et je me suis un peu donné
le sentiment d’en avoir toujours repoussé les limites à l’intérieur
même du film. Ça m’a donné le sentiment que j’étais à ma
place, que j’ai ma place dans un film, et même un peu plus que
la place que l’on assigne à un acteur. Il ne s’agit pas d’intervenir
sur le scénario, ou sur la mise en scène, mais plutôt de l’intérieur
même de ce que l’on est censé faire dans le film, imprimer
quelque chose qui déborde de la zone limitée et contraignante
du personnage et de ce que l’on attend d’un acteur.

Lire la critique de Frankie p. 62

séduction féminine la plus archétypale. Mais, dans le récit, il la
plaçait dans une position subalterne à la fonction de l’homme.
Le personnage féminin était le plus souvent paré de tous
les  oripeaux d’un certain glamour classique, mais intervenait
à côté du personnage masculin central. Je n’entrais pas dans ces
critères majoritaires, mon apparence et ma personnalité avaient
quelque chose de plus étrange, atypique. J’ai eu la chance
d’arriver dans le cinéma à un moment où ces places archétypales
se transformaient et j’ai pu participer de ce changement.


En effet, vous avez été le vecteur d’une modification
dans la représentation du féminin dans le cinéma
français, c’est certain...
J’ai eu la chance de pouvoir trouver des films où les
personnages féminins étaient à la fois faillibles, bizarres, pas
dans la norme, mais absolument au centre du récit
(La Dentellière, Violette Nozière...). Et bénéficiaient donc d’une
attention, d’une sensibilité qui m’ont permis de n’avoir
à ressembler qu’à moi-même et de ne pas me conformer aux
exigences traditionnelles du cinéma pour les actrices. Du coup,
je ne me reconnais pas tellement dans un discours
contemporain qui revendique désormais que les personnages
féminins soient forts, triomphants, héroïques... Ça ne
me convainc pas complètement. Ce qui est important, c’est
de s’intéresser à une femme en la plaçant au centre, même
si c’est un personnage fêlé, affaibli, vacillant.


Quand vous tournez avec Patricia Mazuy, Mia Hansen-
Løve, Claire Denis ou Catherine Breillat, avez-vous
le sentiment de tourner avec des cinéastes fragilisées
dans l’industrie parce qu’elles sont des femmes?
En France, je n’en suis pas sûre. Les cinéastes sont fragilisés
dès qu’ils ont une ambition formelle très forte, ils doivent
se battre pour imposer une exigence de vision. Mais je ne suis
pas sûre que cela soit plus dur pour ces cinéastes parce qu’elles
sont des femmes.


Et pensez-vous qu’il y a un regard féminin?
C’est une question encore plus compliquée... Nathalie
Sarraute disait qu’il n’y a pas de littérature féminine. Elle ne
voulait pas qu’on genre ses livres. Je ne sais pas si lorsque
je tourne j’envisage le genre du cinéaste qui me filme. Oui,
sans doute. Ce n’est pas la même chose si c’est Claude
Chabrol ou Catherine Breillat. Et il peut y avoir plus de brutalité
si c’est une femme qui me dirige que si c’est un homme.
Surtout si c’est Catherine Breillat (rires). Je dis ça, mais j’adore
Catherine. De toute façon, il est probable que cette dureté
soit un moyen pour affirmer une autorité auquel un homme


“Je n’ai jamais rêvé d’être
actrice. Petite fille,
la représentation imaginaire
de moi qui me faisait rêver,
c’était patineuse !”

Les Inrockuptibles 28.08.2019 14


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