Les Inrockuptibles N°1239 Du 28 Août 2019

(Romina) #1
Atlantique va voyager encore dans les
festivals, et le film a été vendu à Netflix,
à des conditions (comme l’exigence
d’une sortie du film en salle) qui
respectent le choix de la cinéaste. Le film
trouve vite sa place. Et être au bon
endroit, c’est une question importante
pour Mati Diop.
 Mati Diop est métisse, la fille d’une
Française, “acheteuse d’art” dans la pub
(une sorte de directrice artistique qui
choisit tous les intervenants artistiques,
m’explique Mati), et du célèbre musicien
sénégalais Wasis Diop. Elle est aussi
la nièce du grand réalisateur Djibril Diop
Mambety (1945-1998), auteur de
six longs métrages, dont Touki Bouki,
son plus célèbre (un chef-d’œuvre),
qui avait été présenté à Cannes en 1973
et faisait l’objet du film précédent de
Mati Diop, le fabuleux Mille Soleils
(un moyen métrage).
Mati est née en 1982 à Paris dans le
XIIe arrondissement et y a grandi. Son

MATI DIOP HABITE DEPUIS PEU LE
XIIIE ARRONDISSEMENT DE PARIS,
DANS CE QUARTIER QU’ON APPELLE
“CHINOIS” et qui est plutôt cambodgien,
vietnamien, dans l’une des tours
construites au début des années 1970
sur cette ancienne zone ouvrière. Mati
adore ce quartier depuis toujours – elle y
a même tourné quelques scènes de ses
films. Parce qu’il est décentré et malgré
tout parisien, “très cosmopolite” : “Il n’est
pas soumis à la mode et vit un peu hors du
temps. Ici, on n’est pas dans Paris, on est
dans le monde.” C’est là qu’elle m’a donné
rendez-vous.
La veille, Mati Diop était à Dakar,
où son film a été projeté quatre fois
à l’occasion de sa sortie, dont l’une
à l’université Cheikh Anta Diop. Dans
deux semaines, elle sera à Toronto pour
le présenter, et elle s’y verra remettre
le premier prix Mary Pickford, nouveau
trophée qui récompense un “talent
féminin du cinéma”. L’effet cannois :


MATI DIOP,

UN CERTAIN

REGARD

Film sur l’exil teinté de fantastique, Atlantique, le premier long métrage


de MATI DIOP, a reçu le Grand Prix du jury à Cannes. Repérée comme actrice chez


Claire Denis et grâce à deux courts et moyens métrages marquants,
la cinéaste franco-sénégalaise poursuit son exploration de la “matière cinéma”.

texte Jean-Baptiste Morain
photo Thomas Chéné pour Les Inrockuptibles

oncle meurt quand elle a 16 ans. “On s’est
croisés, je l’aimais beaucoup. Il ne m’a rien
transmis directement. Ma mère a lutté pour
que j’aille jusqu’au bac, parce que j’étais
un peu turbulente.” Sa mère lui parle de
design... Mais dès ses 17 ans, Mati veut
pratiquer un art politique et populaire,
devenir cinéaste. “Je pense que cette vision
du cinéma m’a été inculquée par les films de
Djibril. J’y ai appris la puissance de l’outil
cinématographique : sa capacité à représenter
le réel, à le transcender mais aussi à impacter
le public. Le cinéma comme langage plastique
et esthétique, mais aussi comme outil.” Mati
Diop ne veut pas faire d’école de cinéma.
 A l’époque, les amis de Mati Diop
font du théâtre. Elle prend en charge la
création de la bande-son, de l’univers
sonore des spectacles. Elle tourne aussi
les vidéos qui s’y inscrivent. Ce sont ses
premières images. Elle tourne alors son
premier court, Last Night, avec des amis,
à l’arrache. Mais un festival le refuse,
alors elle renonce à le montrer ailleurs,

Les Inrockuptibles 28.08.2019 26


Rentrée cinéma

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