Les Inrockuptibles N°1239 Du 28 Août 2019

(Romina) #1
Séries

le passé est filmé en format 4/3 (un quasi-
carré, celui du cinéma de la première
moitié du XXe siècle puis de la télévision
jusqu’aux années 2000), tandis que le
présent reste collé aux exigences de nos
écrans allongés. Le récit se déplie en
un rythme déphasé, celui des regrets,
des peurs, des espoirs de corriger ce
qui a été mal vécu ou raté. C’est l’amour
comme pulsion à la fois mortifère et
réparatrice que sonde Nicloux, avec
Hitchcock (Vertigo) et Lynch (Mulholland
Drive) en saints patrons potentiellement
bienveillants. On pense aussi au Resnais
sixties de Je t’aime, je t’aime, l’un des
plus beaux films du monde, mais il ne
faudrait pas y penser trop non plus.
Le jeu d’étrangeté produit
au départ son effet. La belle idée
mélodramatique du scénario et la
sécheresse de Nicloux vont bien ensemble :
c’est comme s’il filmait sans en être dupe

l’effondrement d’une âme et d’un regard,
quelque chose d’une faiblesse humaine
qui consisterait, comme le dit un beau
dialogue à propos de tout autre chose,
à “reconstruire des ruines sur des ruines”.
Une définition de la fiction du “remariage”
comme une autre, un combat perdu
d’avance qui mérite d’être aimé. Cela
dure un épisode et des poussières,
avant que l’émotion ne se dilue à mesure
que les personnages paraissent
irréconciliables. Car Ulliel et Mavor font
avancer leurs solitudes respectives sans
vraiment les frotter. Leur couple n’a pas
l’évidence des grands drames romantiques.
Le récit, fatalement, tourne plus en rond
qu’il ne le fait déjà naturellement. On
aurait imaginé plus aisément l’acteur de
Saint Laurent dans le rôle de celui qui
quitte : son évanescence, son absence
à lui-même auraient fait merveille.
Mais on parle d’une autre histoire, qui
ne se rejoue pas.
Le désintérêt manifeste de Nicloux
pour la forme sérielle n’est donc pas
vraiment le souci. “Il ne s’agit pas d’une
série traditionnelle”, explique-t-il sans
grande conviction dans le dossier de
presse – personne n’est parfait, même
si on aimerait un jour qu’un.e cinéaste
français.e embrasse réellement la question
des récits au long cours, comme Pialat
a pu le faire avec La Maison des bois dans
les seventies. Ce qui manque le plus
à Il était une seconde fois, c’est une folie
propre capable de perturber son
programme, d’éclairer et d’accompagner
celle du personnage, pour rendre la
quête de cet homme blessé plus incarnée.
Filmer en simultané l’intensité de l’amour
et l’intensité de la perte n’a rien de simple.
On ne peut que louer Nicloux d’avoir
essayé et regretter qu’il ne nous ait pas
terrassé d’émotion. Olivier Joyard

Il était une seconde fois Jeudi 29 août
à 20 h 55 sur Arte. En replay du 22 août
au 26 octobre

d’un monde dont Nicloux minore
les effets contemporains, comme pour
expliquer qu’il se situe ailleurs, ou
nulle part. Dans une trouée de fiction
éternelle, sans âge, s’érige un récit
amoureux classiquement brutal.
Un homme est quitté – c’est Vincent
(Gaspard Ulliel) – et il ne le supporte pas,
au point de vivre hanté. Il veut retrouver
celle qui l’a bouleversé – c’est Louise
(Freya Mavor) – jusqu’au moment où
l’univers se plie, en apparence, à ses
désirs. Un colis lui est livré sans qu’il ne
l’ait commandé, un simple cube dans
lequel il lui suffit de se glisser pour revenir
quelques mois en arrière, quand elle
et lui s’aimaient encore. Il peut reprendre
le fil de ce qui a dérapé et revoir celle
qui a disparu. 
Ce motif de science-fiction affective
délicieusement arbitraire, Nicloux
l’accompagne d’un changement de format :


Freya Mavor
et Gaspard Ulliel

67 28.08.2019 Les Inrockuptibles
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