Les Inrockuptibles N°1239 Du 28 Août 2019

(Romina) #1

Ailes et lui


Cara Delevingne et Orlando Bloom sont les amants
tragiques de CARNIVAL ROW, une série fantastique calibrée mais plaisante,
qui séduit par son sous-texte politique aiguisé.

EN ATTENDANT SON AMBITIEUSE
SÉRIE INSPIRÉE DE L’UNIVERS DU
“SEIGNEUR DES ANNEAUX” et
l’adaptation de la saga La Roue du temps,
Amazon confirme un tropisme pour le
fantastique à gros budget avec Carnival
Row, itinéraire de deux êtres brisés
dans un monde imaginaire. Malgré les
apparences, on aurait tort de parler
d’émule de Game of Thrones, tant les huit
épisodes de cette série se déploient sous
d’autres latitudes, quelque part entre le jeu
vidéo Bloodborn, le cycle Ambremer de
Pierre Pevel et la série Penny Dreadful.
Adaptée d’un script de Travis Beecham
initialement écrit pour le cinéma, la série
se déroule dans une époque victorienne
alternative mâtinée de steampunk où les
humains côtoient des créatures magiques.
Contraintes à l’exil suite à la destruction
de leurs contrées natales, ces dernières
doivent lutter contre l’hostilité des habitants
de leur terre d’accueil. Alors qu’il enquête
sur une série de meurtres mettant en danger
la cohabitation interespèces, le détective

Rycroft Philostrate croise Vignette
Stonemoss, une fée qu’il a aimée puis
abandonnée au temps de la guerre.
Au-delà de ses noms de personnages
chantants, Carnival Row séduit par
la densité de son univers original, tant
sur un plan esthétique (son décor en
simili-londonien déformé par la magie et
ses créatures matérialisées par des effets
spéciaux solides) que mythologique, à
travers un éventail touffu de traditions et de
légendes. La série peine malheureusement
à articuler ses fils narratifs, diluant à la fois
son intrigue policière et sa romance
impossible dans d’interminables séquences
dialoguées avant de les résoudre dans un
final expéditif. Englués dans une relecture
convenue du mythe de Pocahontas, les
trop sages Cara Delevingne et Orlando
Bloom jouent avec application une
partition dont les notes n’impriment
aucune émotion mémorable.
C’est dans les à-côtés de sa trame
principale que la série se révèle la
plus pertinente. De l’instrumentalisation

des flux de population à des fins politiques
à l’oppression policière selon le faciès,
en passant par le repli communautaire,
le royaume du Burge se construit en
miroir de l’Europe contemporaine. Les
trajectoires contrariées de sa fée immigrée,
d’un homme-bouc désireux de trouver
sa place dans la haute société ou encore
d’un saltimbanque à la tête d’une troupe
de gnomes clandestins dessinent un vécu
complexe de l’immigration, loin de tout
manichéisme. Elles offrent aussi à la série
ses plus belles scènes, comme lorsque
Vignette s’effondre en découvrant que la
bibliothèque de sa ville natale a été
démantelée pour être reconstituée dans
un musée local. Aussi haut que la portent
ses ailes graciles, le cœur de la petite fée
est toujours étreint par ses racines, que
les épreuves de l’exil ont rongées sans
parvenir à les couper. Alexandre
Büyükodabas

Carnival Row saison 1, le 30 août sur Amazon
Prime Video

Jan Thijs/Amazon Prime Video

Orlando Bloom
et Cara Delevingne

Séries


Les Inrockuptibles 28.08.2019 68
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