LeSoir - 2019-08-14

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Le SoirMercredi 14 et jeudi 15 août 2019


4 à la une


FRÉDÉRIC SOUMOIS

C


’est une étude fondamentale que
font paraître aujourd’hui plu-
sieurs scientifiques dans la revue
prestigieuse de référence Journal of the
American Medical Association (JAMA).
Elle prouve que doter les patients sus-
pects d’hypertension artérielle d’un ap-
pareil portable de mesure de la tension
(« holter ») pendant 24 heures est le
moyen le plus efficace de détecter un fu-
tur accident cardio-vasculaire, comme
un infarctus du myocarde, mais aussi un
accident vasculaire cérébral ou une ma-
ladie coronaire. Des causes lourdes de
décès dans notre société. Tous les ans,
les maladies cardio-vasculaires sont res-
ponsables de près de 31.000 décès. C’est
la première cause de mortalité. Et l’hy-
pertension est impliquée dans au moins
la moitié de ces cas. Or, c’est une maladie
qui peut la plupart du temps être
« contrôlée ».

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Que dit l’étude?
Selon les auteurs, la mesure de la pres-
sion artérielle pendant 24 heures est le
meilleur prédicteur des maladies car-
diovasculaires. « L’hypertension arté-
rielle constitue le plus important des
facteurs de risque modifiables de mala-
dies cardio-vasculaires. La mesure de la
pression artérielle sur 24 heures (un
jour et une nuit) prédit bien mieux la
survenue de ces maladies qu’une mesure
isolée ou des mesures répétées de la
pression artérielle au cabinet du méde-
cin ou à l’hôpital. Cette meilleure perfor-
mance est due pour une large part à la
mesure de la pression artérielle pendant
le sommeil », explique le professeur Jan
A. Staessen de l’unité d’hypertension et
d’épidémiologie cardio-vasculaire de la
KU Leuven. 11.135 sujets d’âge médian
de 54 ans recrutés dans douze pays d’Eu-
rope, d’Asie orientale et d’Amérique la-
tine ont été suivis pendant 14 ans : 2.
sujets sont morts et 2.049 ont été frap-
pés par un accident cardio-vasculaire.
Les chercheurs ont comparé la valeur
prédictive de la mesure de pression arté-
rielle effectuée par un médecin à son ca-
binet de consultation ou à l’hôpital, des
mesures de pression artérielle ambula-

toires durant le jour, durant la nuit et sur
l’ensemble des 24 heures. « Le risque de
survenue de maladies cardio-vascu-
laires est étroitement corrélé avec la
pression artérielle, quelle que soit la mé-
thode utilisée. Toutefois, jusqu’à pré-
sent, on n’avait pas de certitude quant à
la méthode de mesure tensionnelle la
plus informative pour évaluer ce
risque. »

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Quelles méthodes?
L’examen consiste à effectuer un enre-
gistrement régulier sur 24 heures de la
tension artérielle, au cours de la vie quo-
tidienne. Le but de cet examen indolore
est de repérer des anomalies éventuelles
de la tension selon les activités prati-
quées ou les prises médicamenteuses.
Les données sont retranscrites sur un
graphique par le cardiologue, et inter-
prétées. Le nombre élevé de mesures
ainsi obtenues – plus de 50 par 24 heu-
res dans le contexte de vie habituel du
patient – explique la bonne performance
de cette méthode de mesure tension-
nelle pour prédire le risque de maladies

cardio-vasculaires. La pression arté-
rielle pendant le sommeil est mesurée
en position couchée et n’est donc pas in-
fluencée par l’effort physique et les re-
pas, ce qui contribue vraisemblablement
à sa valeur accrue. Cette étude se dis-
tingue par la taille de l’échantillon, mais
aussi par son extension géographique
(12 pays répartis sur trois continents) et
la durée du suivi des participants. « Ses
conclusions sont donc robustes et d’ap-
plication à l’échelle mondiale », explique
le professeur Jan A. Staessen.

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Pas de remboursement
« Les résultats de cette nouvelle étude
montrent que la mesure tensionnelle de
24 heures est essentielle pour poser le
diagnostic d’hypertension artérielle,
instaurer une prise en charge adéquate
et ajuster le traitement anti-hyperten-
seur de manière optimale », commente
le professeur Alexandre Persu du service
de cardiologie des cliniques universi-
taires Saint-Luc (UCLouvain). « Néan-
moins, dans de nombreux pays en Eu-
rope – dont la Belgique –, la mesure am-

bulatoire de 24 heures de la pression ar-
térielle n’est pas remboursée par
l’assurance-maladie, alors même qu’elle
permet de mieux diagnostiquer et trai-
ter l’hypertension, et donc de prévenir
plus efficacement la survenue de mala-
dies cardio-vasculaires. » Une préven-
tion efficace est susceptible de réduire
les coûts de la prise en charge hospita-
lière des complications de l’hyperten-
sion artérielle telles que la maladie coro-
naire, l’infarctus du myocarde et l’acci-
dent vasculaire cérébral. Elle permet en
outre de limiter la survenue d’invalidité
et de décès précoces, avec toute la souf-
france qui en résulte pour les patients et
leur famille. Trente pour cent de la po-
pulation adulte et 60 % des personnes
âgées de 60 ans et plus souffrent d’hy-
pertension artérielle. Dès lors, l’accès à
la mesure ambulatoire de la pression ar-
térielle est essentiel à tous les échelons
des soins de santé. Depuis plusieurs an-
nées, le BHC a sollicité que la Sécu rem-
bourse cet examen. En vain. Contacté
par Le Soir, le cabinet de la ministre de
Maggie De Block (Open VLD) n’a pas
désiré commenter cette demande du
BHC.

Hypertension :


jusqu’à 15.000 vies sauvées


SANTÉ


Une étude de


scientifiques belges


prouve que mesurer la


tension pendant 24


heures prévoit mieux


les AVC et infarctus.


Le nombre de décès


pourrait chuter.


Doter les patients suspects d’hypertension artérielle d’un appareil portable de mesure de la tension (« holter ») pendant
24 heures est le moyen le plus efficace de détecter un futur accident cardio-vasculaire. © SHUTTERSTOCK

Certes, cette mesure
sauve des vies et de la
qualité de vie, mais le
prix d’un tel dispositif, de
près de 1.500 euros, n’est
pas négligeable. Est-ce
que cet investissement
par un hôpital est justi-
fiable? Il n’existe pas
encore d’étude compa-
rant coût et bénéfices
pour les Belgique. Mais
cette étude a été réalisée
en Grande-Bretagne par
le Collège royal de méde-
cine à Londres, en se
basant sur le cas-modèle
d’un patient de 40 ans à
qui un premier examen
décèle une hypertension.
La conclusion est nette :
« La surveillance ambula-
toire était la stratégie la
plus rentable pour les
hommes et les femmes
de tous les âges. Elle
permettait de réduire les
coûts dans tous les
groupes et d’améliorer
les résultats pour la santé
des groupes d’âge mas-
culin et féminin âgés de
plus de 50 ans. Par
conséquent, la sur-
veillance ambulatoire
était la stratégie domi-
nante. Par exemple, les
résultats du cas de base
pour un homme âgé de
60 ans ont montré que,
comparé au diagnostic
par surveillance clinique,
le diagnostic par sur-
veillance à domicile
entraînait des QALY
(NDRL : une année en
bonne santé) similaires
tandis que le diagnostic
par surveillance ambula-
toire entraînait des QALY
plus élevées », expliquent
les spécialistes.

Le nombre de
personnes mal
diagnostiquées réduit
Pour la professeure Kate
Lovibond, qui a mené ces
travaux, « les rapports
coût-efficacité incrémen-
taux associés à un diag-
nostic clinique comparés
à une surveillance ambu-
latoire étaient supérieurs
à 50.000 euros par QALY.
Pour la surveillance à
domicile, la qualité de vie
et les coûts étaient simi-
laires par rapport au
diagnostic clinique à tous
les âges chez les hommes
et les femmes. Les écono-
mies réalisées grâce à la
surveillance ambulatoire
par rapport à la sur-
veillance en clinique et à
domicile sont principale-
ment dues aux coûts du
traitement de l’hyperten-
sion évités en raison de
la plus grande spécificité
de la surveillance ambu-
latoire. » FR.SO

La mesure mobile
est-elle rentable?

ENTRETIEN
FR.SO

L


e professeur Alexandre Persu exerce
au sein du service de cardiologie des
cliniques universitaires Saint-Luc
(UCLouvain). Il est secrétaire du comité
belge de lutte contre l’hypertension.

Pourquoi la mesure ambulatoire de la
tension artérielle sur 24 heures permet-
elle de mieux estimer le risque d’acci-
dent cardio-vasculaire?
Essentiellement à cause de sa fréquence,
puisque plusieurs dizaines de mesures
sont effectuées au lieu d’une ou quelques
mesures ponctuelles. Et ce, dans les cir-
constances habituelles de la vie du pa-
tient. On sait que certains patients, at-
teints d’une hypertension artérielle « de
la blouse blanche » ont une tension éle-
vée au cabinet alors qu’elle est normale à

la mesure automatique de 24 heures. En
l’absence de mesure ambulatoire, ces pa-
tients risquent d’être traités à tort. A l’in-
verse, chez d’autres patients qui
semblent être bien traités parce que leur
tension artérielle est normale en
consultation, la mesure ambula-
toire dévoile un contrôle tension-
nel insuffisant sur l’ensemble des
24 heures ou encore la nuit. Le
traitement anti-hypertenseur de-
vra alors être adapté en consé-
quence. La mesure ambulatoire
de 24 heures est donc essentielle
non seulement pour le diagnostic
de l’hypertension, mais aussi
pour ajuster le traitement, en changeant
les médicaments, en modifiant leur do-
sage ou leur horaire de prise.

Mais est-ce que la mesure ambulatoire
de 24 heures va sauver des vies?

Sans aucun doute, car, comme le
confirme à une échelle sans précédent
l’étude internationale coordonnée par le
professeur Staessen, c’est cette mesure,
et particulièrement la mesure de la ten-
sion artérielle nocturne, qui pré-
dit le mieux le risque de maladie
cardiovasculaire. Pour prévenir
efficacement, la mesure tension-
nelle au cabinet ne suffit pas. La
mesure tensionnelle à domicile
par le patient avec des appareils
validés (automesure) constitue
une aide utile, mais ne permet
pas d’évaluer la tension artérielle
pendant le sommeil. La mesure
tensionnelle automatisée de 24 heures
permet d’estimer la tension artérielle de
manière standardisée et reproductible,
tant le jour que la nuit, et ce, avant et
après l’instauration d’un traitement an-
ti-hypertenseur et ainsi de l’ajuster au

mieux. Je suis convaincu qu’en Belgique,
au XXIesiècle, on ne peut plus se baser
sur quelques mesures de tension arté-
rielle non standardisées pour fonder la
prise en charge médicamenteuse de l’hy-
pertension. Dans la majorité des cas, la
mesure ambulatoire de 24 heures est un
complément essentiel, tant pour le diag-
nostic que pour le suivi.

Mais cela renvoie le patient à l’hôpital?
Pas nécessairement, je suis favorable à ce
que la mesure tensionnelle ambulatoire
de 24 heures soit rendue largement dis-
ponible en médecine de première ligne,
moyennant une formation adéquate et
un rappel des éléments essentiels d’in-
terprétation. Qui pourra en effet mieux
interpréter les résultats du patient et
ajuster le traitement en conséquence
que le praticien qui connaît son patient
dans sa globalité?

l’expert« Un outil indispensable pour un meilleur diagnostic »


Alexandre
Persu.©D.R.
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