L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

32 L’OBS/N°2858-15/08/2019 BRUNO COUTIER POUR « L’OBS »


gouvernement socialiste de Lionel Jos-
pin. La routine. En 2014, sous François Hol-
lande, l’APE a élaboré une doctrine, endos-
sée par Arnaud Montebourg puis Emma-
nuel Macron quand ils étaient ministres de
l’Economie. Elle est toujours en vigueur
aujourd’hui et défi nit ce que l’Etat doit gar-
der ou vendre. « L’Etat est légitime quand
il investit dans les industries régaliennes,
comme la défense ou le nucléaire », explique
un conseiller du ministre actuel, Bruno Le
Maire. Ce qui concerne donc Safran, Air-
bus, Areva, Orano ou Thales. Le même
conseiller poursuit : «  Nous devons aussi
rester maîtres des grands services publics,
comme La  Poste, EDF, la RATP, France
Télévisions, Radio-France ou la SNCF. Et
enfi n, nous devons aider des entreprises en
diffi culté qui sont importantes dans leur
territoire, comme Eramet, le groupe minier
essentiel en Nouvelle-Calédonie. Par oppo-
sition, tout le reste a vocation à être cédé, en
fonction de nos besoins en investissements
ou en désendettement.  » Au bout du
compte, ce qui peut être rapidement sorti
du giron public est assez mince : 39,6% du
capital d’Engie (ex-GDF-Suez), 15% d’Air
France-KLM, 15% de Renault, 44% de la
banque Dexia, 72% de La Française des
Jeux et 50,6% d’ADP.

UNE PROMESSE DE CAMPAGNE
Dans certains cas, l’Etat privatise pour ren-
fl ouer les fi nances publiques. Mais la jus-
tifi cation principale, parfois non avouée,
est idéologique : ministres et hauts fonc-
tionnaires pensent que l’Etat est mauvais
gestionnaire. Cette fois, au moment de
commencer, en  2018, un nouveau cycle
de privatisations, l’objectif affi ché par le
ministre de l’Economie, Bruno Le Maire,
était de créer un fonds doté de 10 milliards
d’euros pour investir dans les entreprises
et les emplois de demain. « On s’est dit que
ce serait bien que des fonds publics fi nancent
l’innovation de rupture  », résume Roland
Lescure, le président (LREM) de la com-
mission des Aff aires économiques de
l’Assemblée nationale. C’était une pro-
messe de campagne du candidat Macron.
Un bon deal, de prime abord, vendable à
l’opinion, avec deux participations faciles
à solder pour trouver les 10 milliards d’eu-
ros : ADP et La Française des Jeux.
Le sort du premier coulait de source :
François Hollande avait déjà vendu les
aéroports de Nice et Lyon sans susciter de
débat. Certes, la cession de celui de Tou-
louse a fait polémique, mais surtout en

raison de l’identité du repreneur, un
groupe chinois qui ne connaissait rien au
métier. Quantité de grands aéroports
interna tionaux ont été privatisés depuis
que Margaret Thatcher a lancé le mouve-
ment en Grande-Bretagne voilà trente-
cinq ans. Les Espagnols, les Turcs, les Por-
tugais, les Japonais ont suivi le mouvement,
ainsi que la plupart des aéroports régio-
naux français. Ni les compagnies
aériennes, ni les Etats, ni les passagers ne
se sont plaints du changement.
Privatiser ADP, déjà introduit
partiellement en Bourse
en 2006, semblait d’autant plus
évident qu’il y avait un « candi-
dat naturel » à cette opération :
le groupe français Vinci,
numéro deux mondial de la
gestion d’aéroports derrière
l’espagnol Aena, avec notam-
ment des plateformes au Japon,
au Portugal, au Cambodge, en
Grande-Bretagne, au Chili,
mais aussi en France (Lyon-
Saint-Exupéry, Nantes ou Gre-
noble). Vinci s’est préparé en
achetant 8% du capital d’ADP
en Bourse. D’ailleurs, il ne s’agit
pas d’une véritable privati-
sation, mais d’une concession
d’infrastructures pendant
soixante-dix ans. Et puis, les
pouvoirs publics garderont
toujours la maîtrise de l’ou-
vrage : « La gestion d’une plate-
forme est extrêmement codifi ée,

avec des normes défi nies par un organisme
international. Impossible de s’en écarter,
raconte un exploitant. C’est l’Etat qui fi xe
les tarifs payés par les compagnies aériennes
pour atterrir et décoller, c’est aussi l’Etat qui
est chargé de la douane et des contrôles. En
fait, le métier du gestionnaire, c’est d’accom-
pagner le passager et sa valise du parking à
l’embarquement. »
Le rôle du futur gestionnaire? D’abord,
organiser au mieux les fl ux dans l’aéroport.
Ensuite, investir dans les équi-
pements. Enfi n, augmenter son
chiff re d’aff aires en jouant sur
deux leviers, qui représentent
en général chacun la moitié des
revenus totaux : faire davantage
dépenser les passagers dans les
boutiques et restaurants, en
organisant une meilleure off re ;
et démarcher les transporteurs
aériens pour les convaincre
d’utiliser son aéroport à lui plu-
tôt qu’un autre. Vinci aime ainsi
à expliquer que les aéroports de
province dont il a la gestion ont
vu leur croissance annuelle
atteindre 10%, contre moins de
4% à Paris.
« Le vrai danger, c’est La Fran-
çaise des Jeux » : voilà ce qu’ex-
plique Bruno Le Maire en
juin  2018, lorsqu’il rencontre
les rapporteurs à l’Assemblée
de sa loi Pacte, qui doit autori-
ser l’Etat à passer sous les 50%
du capital d’ADP et du groupe

ADP EN CHIFFRES (2018)


4,5 milliards d’euros
de chiffre d’affaires
610 millions d’euros
de résultat net
(part du groupe)
26 000 collaborateurs
25 aéroports gérés,
dont Roissy, Orly
et Le Bourget
281,4 millions
de passagers
dans le monde...
... dont 105,3 millions dans
les aéroports parisiens
58 000 m^2 de surfaces
commerciales dans
les aéroports parisiens
4,6 milliards d’euros
d’investissement
(2016-2020)
18,4 euros de CA par
passager et par an dans
les commerces côté piste.

Conférence de presse du collectif Signons.fr, avec notamment François Ruffi n (au milieu).
Vu sur https://www.french−bookys.comLe député « insoumis » est en pointe dans la bataille contre la privatisation.

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