L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

36 L’OBS/N°2858-15/08/2019 JEAN-FR ANÇOIS MONIER/AFP


CONDÉ-SUR-SARTHE
EN CHIFFRES

104 détenus.


249 places.
300 surveillants.

214 procédures
disciplinaires en 2018.

1 188 jours de quartier
disciplinaire (« mitard »)
prononcés en 2018.
(Source AP)

communauté maghrébine et musul-
mane ». Depuis, elle fait le tour de France
des parloirs, au gré des diff érents lieux de
détention de son nouvel amant, se présen-
tant d’abord tête nue puis, progressive-
ment, entièrement voilée...
Ce 5 mars, à l’UVF, la jeune femme, qui
prétend être enceinte, appelle : elle se sent
mal, veut sortir. Mais, lorsque deux surveil-
lants accourent, elle et Chiolo frappent avec
des couteaux en céramique aux cris
d’«  Allah Akbar  ». Indétectables aux por-
tiques de sécurité, les armes blanches
étaient vraisemblablement dissimulées
dans son faux ventre. Le Raid, appelé en
renfort, trouve au soir le couple retranché
dans la salle de bains de l’UVF. L’épouse
tient un câble électrique sortant de ses vête-
ments ; le mari crie qu’ils ne se rendront pas.
Tous deux se jettent, couteaux à la main, sur
la colonne d’assaut. Les policiers tirent.
Grièvement blessé, Chiolo est à terre, un
boudin de tissu beige sanglé autour du
ventre. Aboulhana, qui n’était en réalité pas
enceinte du tout, n’a que son câble, relié à
rien. Les explosifs étaient factices. Tous
deux laissent un testament, signé le jour
même, revendiquant leur radicalisation et
leur « volonté de combattre les mécréants ».
Cet attentat terroriste, le quatrième en
milieu pénitentiaire en trois ans, catalyse

toutes les peurs des surveillants
de prison. «  L’établissement est
une usine à gaz. On doit faire en
avançant, mais toujours face à
l’inattendu. Personne ne sait ce
qu’il faut faire », décrypte le délé-
gué local de la CGT. « Ces détenus
ont fréquenté des zones de guerre.
Ils sont entraînés et prêts au
maniement des armes. On a peur
du coup fourré  », s’alarme un
agent de Condé. Selon un autre,
les détenus sont «  manipula-
teurs  », des «  procéduriers qui
ont tout compris au système ».
Nous avons eu accès aux enquêtes ini-
tiées après l’attaque. Le rapport de l’Inspec-
tion générale de la Justice commandé par
la garde des Sceaux met en évidence au sein
des personnels « une crainte diff use et par-
tagée des recours [que pourraient engager les
détenus contre les surveillants]. La question
des palpations que chacun s’interdit, par peur
de ne pas être autorisé ou des invectives de la
population pénale et des visiteurs, est à cet
égard typique  ». Les investigations de la
sous-direction antiterroriste, elles, mettent
en lumière le rôle particulier d’« un cercle
d’épouses de détenus ». L’une d’elles, instal-
lée dans l’Orne, héberge les autres femmes
d’islamistes incarcérés. Ces «  sœurs  »,

comme elles se désignent elles-
mêmes, se fréquentent et s’en-
traident au quotidien, exacte-
ment comme leurs compagnons
qui occupent des cellules conti-
guës dans le même quartier de la
prison, la « maison centrale 2 ».
Cette proximité alimente le
soupçon d’un réseau constitué
pour chercher les failles dans la
sécurité carcérale.
Juste après l’attaque de Chiolo,
les surveillants, traumatisés, se
sont regroupés sur le parking de
l’établissement pour exprimer leur ras-le-
bol et leur eff roi face à ces « hauts profi ls ».
Pendant les deux semaines de blocage de la
prison par les gardiens, la température est
encore montée d’un cran à l’intérieur du
chaudron. Les détenus sont restés confi nés
vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans
leurs cellules de neuf mètres carrés. Plus de
sport. Plus de parloir. Plus la moindre nou-
velle aux familles. Les poubelles pas ramas-
sées. L’eau parfois coupée dans les cellules.
« Des détenus se sont retrouvés seuls, isolés,
sans lien autre que des surveillants équipés
de casques et de boucliers », témoigne l’avo-
cat Benoit David, qui, tout comme la prési-
dente de la section française de l’Obser-
vatoire international des Prisons  (OIP),

Après l’attaque terroriste de mars, les agents pénitentiaires ont bloqué les accès de la prison pendant quinze jours. Pour eux,
l’établissement ne peut faire face à des détenus à la fois « manipulateurs » et « entraînés au maniement des armes ».

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