L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

42 L’OBS/N°2858-15/08/2019 OLIVIER MIRGUET/AGENCE VU


l’argent dans nos portefeuilles ! » Mal à l’aise et per-
cevant la détresse de ses propres enfants face à l’hor-
rible gamine, Antonia envisage d’abréger son séjour.
« Manque de pot, l’aéroport était fermé à cause de feux
de forêt. » Coincée sur l’île, elle décide alors de faire
bande à part avec ses fi lles. «  C’était horrible, mais
c’était la seule solution. A notre retour, quand j’ai revu
mon amie, j’ai senti qu’elle était embarrassée, mais ne
souhaitait pas en parler. C’était comme si nous avions
été témoins de quelque chose que nous n’aurions jamais
dû voir. Depuis, nous ne nous sommes plus jamais
recroisées. Elle me manque. »

LE JUGEMENT D’AUTRUI
De cette expérience chaotique, Antonia a tiré un ensei-
gnement : « Les enfants des autres sont des miroirs de
l’intime de leurs parents.  » Point de vue partagé par
Didier Pleux. Selon lui, critiquer les enfants des autres
revient en réalité à passer au crible ses propres valeurs,
son éducation, celles de ses parents. «  Les vacances
sont un moyen de tester la cohérence entre adultes ou
parents. Dans ce contexte, nos valeurs familiales et édu-
catives se révèlent. Or, pour que ça se passe bien avec les
autres, il faut que celles-ci soient en parfaite adéquation.
Malheureusement, cela n’existe pas. » Ce n’est pas très
agréable de considérer que les enfants des autres sont
mal élevés, mais c’est pire encore quand on est soi-
même exposé au jugement d’autrui. Même si c’est sur
des détails d’apparence insignifi ants. Aline, par
exemple, sait qu’elle n’est pas très à cheval sur la qua-
lité de la nourriture, mais refuse catégoriquement que
sa fi lle passe des heures devant un écran. Tout l’inverse
de sa sœur aînée, qui ne jure que par le bio mais auto-
rise ses enfants à consommer ad nauseam la télévision.
Le souci, c’est que le simple fait de donner une mousse

au chocolat à sa fi lle lui vaut des remarques assassines
(« Tu sais, c’est vraiment pas bon pour sa santé »). « Pour
elle, je fais tout ce qu’il ne faut pas faire », enrage-t-elle.
Faustine, 35 ans et mère de deux enfants, regrette
elle aussi le « fossé parental » qui s’est creusé avec
l’une de ses meilleures amies, mère de jumeaux, très
sûre de ce qu’est la « bonne » éducation. « Si mon fi ls
fait tomber sa tétine, je n’en fais pas toute une aff aire.
Idem s’il court pieds nus. Elle, elle est plutôt maman
poule », confi e-t-elle. Un long week-end en commun
s’est donc mué en chemin de croix. « Il fallait que
mon amie soit toujours à deux mètres maximum de
ses enfants. Dès que l’un pleurait, elle accourait. Elle
paniquait absolument pour tout. A la fi n, elle était juste
épuisée. » Elle poursuit : « Le truc insupportable, c’est
qu’elle n’arrêtait pas de me juger dans mon rôle de
mère. A l’époque, mon fi ls devait avoir 2 ans et je me
rappelle qu’il n’arrivait à dormir qu’entouré de plu-
sieurs de ses peluches. Ma copine m’a dit que c’était
dangereux et non recommandé par les pédiatres. Fina-
lement, me voyant faire, elle s’est exclamée : “Désolée,
je m’éloigne. Je ne peux pas assister à ça !” » Entre les
deux amies, l’expérience ne sera pas réitérée. « Alors
qu’elle part avec d’autres mamans, elle ne m’a plus
jamais proposé. Ça me fait de la peine de me dire qu’elle
pense que je suis une mauvaise mère. »
Mais alors, quelle est la solution? Faut-il, comme
Antonia, bannir l’idée des vacances entre amis à
cause des enfants? Didier Pleux se veut moins caté-
gorique : « Mieux vaut aborder cet épineux sujet avant
le grand départ. Dire, par exemple : “Toi, tu es plutôt
ferme. Moi, pas du tout. Comment allons-nous faire ?”
Si ce travail n’est pas réalisé au préalable mais que la
situation dégénère, mieux vaut se dire les choses fran-
chement et établir des règles. » Camille a trouvé un
terrain d’entente en suivant
ses propres règles : «  Je veille
toujours à ce que chacun ait son
espace et garde une certaine
indépendance. Si ce n’est pas
possible, j’évite les séjours de
plus d’une semaine.  » Bien
qu’Aline «  espère qu’un jour,
[elles] pourron[t] en discuter à
cœur ouvert  », elle n’ose tou-
jours pas en parler franche-
ment à sa sœur. Elle a donc
opté pour une autre stratégie :
l’exclusion douce. «  Voilà
quelques jours que ma sœur
tente de s’incruster dans nos
prochaines vacances. J’ai
inventé tout un tas de prétextes
pour l’en dissuader. Je lui ai
même menti. » Un brin dépi-
tée, elle conclut : « Bon, pour le
moment, elle n’a pas l’air
d’avoir capté le message. » Q
*Les prénoms ont été changés

“C’ÉTAIT


COMME SI


NOUS AVIONS


ÉTÉ TÉMOINS


DE QUELQUE


CHOSE QUE


NOUS


N’AURIONS


J A M A I S D Û


VOIR.”


ANTONIA, QUI S’EST
BROUILLÉE
AVEC UNE AMIE

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