48 L’OBS/N°2858-15/08/2019 DAN KITWOOD/GETTY IMAGES/AFP
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4LES CRIMES
POLITIQUES
NON ÉLUCIDÉS
POLITIQUESPOLITIQUES
On ne connaît toujours pas les commanditaires
du meurtre de Daphne Caruana Galizia, la plus
célèbre journaliste d’investigation de Malte, tuée en
octobre 2017. Et le gouvernement de ce pays membre
de l’Union européenne refuse d’honorer sa mémoire...
De notre envoyée spéciale S O P H I E FAYLa journaliste qui
en savait trop
D
ans le champ, l’herbe a beaucoup poussé.
Elle recouvre presque la grande photo de
Daphne Caruana Galizia et la banderole
« Justice ». Manuel Delia, qui nous
conduit sur la route où une charge de
TNT a fait exploser la petite Peugeot 108 de la jour-
naliste, le 16 octobre 2017, avant de la propulser en
feu dans ce pré, a la gorge serrée. Cette journée, il s’en
souvient comme si c’était hier : « Ils ont tué Daphne.
Sa maison est là-haut, nous montre-t-il. Quand Mat-
thew, son fi ls, a entendu l’explosion, il est sorti pieds
nus, en courant. Il a vu des morceaux sur la route, dans
le champ, ceux de sa mère ! » Elle avait 53 ans. Son fi ls,
31 ans, journaliste comme elle, a tout de suite compris
ce qui s’était passé. Ce n’était pas la première agres-
sion contre l’auteure du blog Running Commentary,
le plus lu de l’archipel de Malte : 400 000 lecteurs
certains jours pour 475 000 habitants! En 1995 et
2006, on avait déjà égorgé leur chien, tenté à deux
reprises de mettre le feu à la maison. Le jour du
meurtre, notre guide, Manuel Delia, lui, travaillait
encore comme permanent politique. Il a tout quitté :
« Je ne pouvais plus continuer comme avant. C’étaitimpossible. J’ai décidé de reprendre à ma manière le
travail de Daphne. J’ai créé un blog, Truth be Told
(“Que la vérité soit dite”). »
Daphne Caruana Galizia n’était pas une journaliste
comme les autres. Elle était un « WikiLeaks à elle toute
seule », résume le site d’information bruxellois Poli-
tico. « Elle avait l’énergie de dix personnes », raconte
avec beaucoup d’émotion son fi ls, qui fait partie du
consortium de journalistes d’investigation ICIJ (1).
Elle avait surtout des dossiers sur tout le monde à
Malte. C’est peu dire que Daphne dérangeait. La
plume toujours acérée, parfois cruelle, elle faisait à
l’occasion rire ses lecteurs aux dépens de l’apparence
physique des hommes ou femmes politiques locaux.
Mais cela gênait moins que sa croisade anticorrup-
tion : majorité au pouvoir, opposition, elle ciblait tout
le monde. Et la classe politique ou le monde du
business maltais ne l’épargnaient pas en retour : elle
faisait face à 47 procès en diff amation. Une véritable
guérilla judiciaire, qui poursuit encore ses héritiers.
Qu’avait-elle révélé de si dérangeant pour être à ce
point attaquée? Un vaste scandale de corruption,
tout d’abord, impliquant plusieurs proches du