50 L’OBS/N°2858-15/08/2019 RENÉ ROSSIGNAUD/AP/SIPA - LEON NEAL/GETTY IMAGES/AFP
Sit-in, en
2017, contre la
police, accusée
de ne pas
avoir protégé
la journaliste.Matthew, le
fi ls de Daphne,
poursuit le
combat engagé
par sa mère.journaliste. Le 16 octobre 2017, c’est pour aller
tenter de le débloquer à la banque HSBC que Daphne
Caruana Galizia a pris le volant. Elle n’a roulé qu’une
centaine de mètres avant l’explosion.
Car ce jour-là, trois hommes étaient à l’aff ût. Des
voyous notoires et dangereux, déjà condamnés pour
braquage et tentative d’homicide : les frères Degiorgio- George, dit « le Chinois » , et Alfred, dit « la Fève »
- ainsi que Vincent Muscat (sans lien avec le Premier
ministre, surnommé « Il Kohhu », d’après une ono-
matopée intraduisible, comme un raclement de
gorge). « La Fève », derrière un muret surplombant la
route, faisait le guet. Un mégot de
cigarette avec son ADN a été
retrouvé sur les lieux. Le soutien
du FBI à la police maltaise a aussi
permis de repérer et de trianguler
les appels téléphoniques dans la
zone du meurtre. Quelques
minutes avant l’explosion, « la
Fève », de sa planque, a appelé le
numéro de son frère George, « le
Chinois », parti en bateau au large
de La Valette. Ce numéro venait
justement d’être utilisé pour ajou-
ter du crédit sur la carte d’un télé-
phone jetable, d’où est parti le SMS
qui a servi à déclencher la bombe
à distance. Pas très discret... A
Malte, personne, à commencer
par la famille de Daphne Caruana
Galizia, n’imagine que les trois
voyous soient les commanditaires
du meurtre. Les enquêteurs ne
sont pas dupes non plus. En
novembre 2018, le ministre de
l’Intérieur a même affi rmé que
la police avait identifi é les « cer-
veaux ». Problème, neuf mois
plus tard, personne n’a encore
été arrêté.
D’autres questions taraudent
ceux qui suivent l’affaire.
Coïncidence ou pas, George
Degiorgio était surveillé par les
services de sécurité maltais.
Ont-ils eu connaissance de son
projet? Deuxième élément
troublant, Alfred Degiorgio, « la
Fève », a été vu, avant et après le
meurtre, en compagnie de Chris
Cardona, le ministre de l’Eco-
nomie, qui en voulait tant à
Daphne. Ils se sont parlé devant
témoins dans un de ces typiques
cafés maltais, sortes de clubs
politiques. Pourtant, à ce jour, ni
la police ni la justice n’ont pris
la peine d’interroger le ministre
sur la teneur de cette conversation... Dernier point
dérangeant, les trois suspects, qui se disent inno-
cents, ont été tuyautés par un policier avant leur
arrestation, juste à temps pour leur permettre de se
débarrasser de leurs fameux portables.OUBLIS BIZARRES
L’instruction semble aujourd’hui totalement enlisée,
voire bloquée par les autorités. Pieter Omtzigt,
député néerlandais chrétien-démocrate qui siège à
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Eu-
rope (2), a mené l’enquête sur l’enquête pour le
Conseil. Son rapport est accablant. Le député y liste
une dizaine de manquements caractérisés. En vrac :
retard de l’instruction du fait des récusations succes-
sives de magistrats, trop proches de Daphne ou du
gouvernement ; promotion surprise accordée par le
Premier ministre au magistrat instructeur au
moment même où il entrait dans le vif du sujet, etc.
Et puis des oublis ou omissions bizarres : ni la police
ni le magistrat n’ont demandé à consulter les ordi-
nateurs de Daphne, confi és par sa famille à la police
allemande. Enfi n, le directeur d’Europol, venu
comme le FBI en renfort de l’enquête juste après le
meurtre, s’est étonné de l’absence de volonté de
coopération de la police maltaise sur une aff aire
aussi sensible pour la démocratie.
« Les autorités maltaises ont eu près de deux ans, et
personne n’a encore été jugé », regrette Pieter Omtzigt.
Pour lui, il y a un responsable, clairement identifi é :
« Le Premier ministre maltais est tout-puissant. Il
nomme les juges, les magistrats, presque tous les
organes de contrôle. Le Parlement est très faible, car
presque tous les députés du parti gouvernemental soit