L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

54 L’OBS/N°2858-15/08/2019


Durant tout l’été, “l’Obs” entre dans le confessionnal. Rencontre


amoureuse, coming out, épisode singulier... Cette semaine, Sophie raconte


l’improbable love story qui a démarré pendant sa chimiothérapie


Propos
recueillis par
ÉLODIE
L E PAG E

“La merveilleuse


année de


mon cancer”


M


algré la lourdeur des traitements et
la fatigue, figurez-vous que c’est
durant ma chimiothérapie que j’ai
rencontré l’homme qui partage
aujourd’hui ma vie. Il m’a acceptée
telle que j’étais alors, avec une « pièce manquante »
– un sein – et une « pièce en trop », une perruque. Je
suis tombée malade en janvier 2016, alors que j’avais
27 ans. Un cancer rare et peu connu, le rhabdomyo-
sarcome phyllode, situé dans le muscle pectoral et
qui s’est développé dans le sein. Un jour, j’ai senti une
grosse masse dans le sein gauche. A l’époque, j’avais
une belle poitrine, ce qui peut expliquer que je n’aie
pas détecté la grosseur plus tôt. Le cancer avait déjà
envahi ma vie. Ma mère, dont je suis très proche,
avait été elle-même diagnostiquée d’un cancer pul-
monaire en phase terminale fin 2015. Les médecins
avaient prédit qu’elle ne passerait pas Noël. Je m’oc-
cupais donc d’elle et je me fichais de moi.
Le plus fort, c’est que je suis psychologue spécia-
lisée dans le suivi des malades du cancer et qu’à
l’époque où le mien a été détecté, je me trouvais en
stage dans le service de psycho-oncologie [la psy-
chologie appliquée aux cancéreux, NDLR], d’un hôpi-
tal de Liège! J’écoutais, je suivais des personnes tou-
chées par cette maladie. Pourtant, lorsque je suis
allée voir un collègue sénologue [spécialiste du sein],
je n’étais pas plus inquiète que ça. Il m’a fait une
échographie. L’aspect et le volume de la masse, de

la taille d’un poing, ne lui faisaient pas a priori pen-
ser à une tumeur. Selon lui, c’était peut-être une
masse de sang apparue à la suite d’un coup ou d’un
choc, il ne savait pas vraiment. Il m’a proposé une
ponction, pour voir.
Quand je l’ai revu après les résultats, je l’ai senti
préoccupé. Et pour cause : la masse était maligne. Ce
cancer rare exigeait une opération rapide. C’est moi
qui ai prononcé la phrase : « On va enlever le sein. » Il
a confirmé. J’avais beau être sous le choc, j’ai d’abord
pensé à la façon dont j’allais annoncer cette nouvelle
à ma mère. Je l’ai fait le dimanche suivant, lors d’une
petite réunion de famille organisée à l’occasion de
mon anniversaire. Ma mère était persuadée que
c’était de sa faute, que mon cancer était une réaction
au choc émotionnel provoqué par le sien.
Quatre jours plus tard, je subissais une mastecto-
mie, une ablation du sein. Mon oncologue, ensuite,
n’a pas mâché ses mots : il m’a dit que mon capital
vie était égratigné, que la chimiothérapie allait être
très dure, que le cancer pourrait revenir, que je devais
congeler mes ovocytes pour garder une chance
d’avoir un jour, peut-être, des enfants.
J’ai tout de même bien supporté la première
chimio, malgré les effets secondaires. Mes cheveux
sont tombés à la deuxième. Autant l’ablation d’un
sein n’a pas été un traumatisme pour moi, autant j’ai
vécu la chute de mes longs cheveux lisses comme
une catastrophe. Un soir, on s’est retrouvés avec ma

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