L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

SHANNA BESSON L’OBS/N°2858-15/08/2019 67


Avec Léa Seydoux dans « Roubaix, une lumière ».

CULTURE


BIO
Né en 1965 à Gennevilliers,
Roschdy Zem a joué dans
« Ma petite entreprise »,
« le Petit Lieutenant »
et « la Fille de Monaco »,
qui lui ont chacun valu
une nomination au César
du meilleur second rôle.
Il a réalisé cinq films dont
le très autobiographique
« Mauvaise Foi », nommé
au César du meilleur
premier film.

« Daoud est, en quelque sorte, l’homme
que j’aimerais être, dit Zem. Il pense pro-
fondément que l’on naît bon et trouve des
raisons à chacun, ce à quoi je travaille.
Comme moi, il est obsédé par des questions
dont les réponses ne l’intéressent pas.  »
Car Daoud sait. Face à un couple de chô-
meuses alcooliques (Léa Seydoux et Sara
Forestier), suspectées du meurtre de leur
voisine octogénaire, son empathie et son
écoute exceptionnelles se révèlent équi-
voques : Daoud ne mène pas leurs inter-
rogatoires pour découvrir la vérité – il est
sûr de la connaître – mais pour l’étayer. « Il
amène les suspectes non pas à avouer mais
à se confesser, à se libérer des mensonges
et des non-dits pour pouvoir revivre, ajoute
Roschdy Zem. Il a une dimension chris-
tique.  » Psychanalytique, aussi. Sachant
l’intérêt de Desplechin pour le sujet, il
n’est pas interdit de voir en Daoud une
défense du flic en psy des classes pauvres.

“ROSCHDY A LA PUDEUR


DE LINO VENTURA”
Le cinéaste ne tarit pas d’éloges sur son
acteur. A moins qu’il ne parle du person-
nage : « En une réplique, il touche au cœur » ;
« Il se trouve l’égal de tout le monde » ; « Il
agit comme un révélateur : quand il est face
aux gens, on les voit mieux. » Quand Daoud
lance : « Je n’aime pas m’énerver, ça m’ir-
rite », on croit entendre Zem lui-même. Il
n’y a que lui parmi les acteurs français à
pouvoir dire au père d’une adolescente :
« Elle est jolie votre fille » sans une once
d’ambiguïté. Lui et Lino Ven-
tura. «  J’ai retrouvé chez
Roschdy la pudeur de Ventura,
acquiesce Desplechin. Roschdy
peut être très drôle, mais sans
jamais se départir de cette
pudeur qui me bouleverse. Je ne
pensais pas filmer un jour une
telle douceur chez un acteur. A
la fin de “Ma fille”, sorti l’an
dernier, il y a un plan de dos où
il pleure. Il n’avait jamais pleuré
au cinéma. Je me suis dit  :
“Putain, Ventura pleure !” Dans
mon film, Roschdy sourit. Sa
voix et sa précision de tir m’ont

aussi rappelé Jean-Louis Trintignant. » Pas
étonnant. « Je suis une éponge, dit Zem. Le
soir, je m’endors en regardant des films. Je
me fais des cycles autour de réalisateurs ou
d’acteurs. Quand on tournait à Roubaix,
j’étais sur un cycle Trintignant. »
Lino Ventura, fils d’immigrés italiens,
ancien catcheur tombé dans le cinéma par
hasard, incarnait, à travers ses rôles tai-
seux de papa à cheval sur les valeurs ou
de truand respectueux des traditions,
une image terrienne et populaire du Fran-
çais de son temps. Il ne manque qu’un
gros succès à Roschdy Zem, fils d’immi-
grés marocains, ancien ven-
deur aux puces, tombé dans
le  cinéma par hasard, pour
devenir le Ventura d’au-
jourd’hui. Peut-être viendra-
t-il de la série de Rebecca
Zlotowski, «  les Sauvages  »,
diffusée à partir de septembre
sur Canal+, où il incarne le
premier président de la Répu-
blique issu de la communauté
musulmane? « Roschdy a cette
capacité de parler à n’importe
quel Français, note Desple-
chin. On tournait dans un
quartier de dealers, à Roubaix,

et tous les habitants, des mères de famille
aux mauvais garçons, qui l’ont adoré dans
“Go Fast !”, le sollicitaient pour des photos,
des autographes. Comme il y avait des types
borderline, je lui ai proposé de prendre
quelqu’un pour sa sécurité, il m’a répondu :
“T’inquiète, je sais faire.” »
Roschdy peut tout jouer, selon ses amis
réalisateurs. Xavier Beauvois, le parrain
de sa fille, qui l’a dirigé dans trois films,
admire sa tenue. «  C’est un roc  : même
quand il ne fait rien, il a une présence que
les autres n’ont pas. Il m’impressionne.  »
Pierre Jolivet, son partenaire de golf, qui
l’a fait tourner à six reprises depuis
« Fred » en 1997, remarque que le succès
ne l’a pas changé d’un iota. «  Roschdy a
deux trucs en plus : il ne parle jamais de lui,
contrairement à la plupart des acteurs. Et
il a une densité, comme homme et comme
artiste.  » Lui vient-elle de sa prime jeu-
nesse? Entre ses 18  mois et ses 5  ans,
Roschdy a été séparé de sa famille pour
être placé dans une famille d’accueil. Il en
parle volontiers, mais dédramatise d’em-
blée : « On va entrer un peu dans le pathos
alors... Quand mes parents sont arrivés en
France, au milieu des années 1960, on nous
a installés dans les bidonvilles de Nanterre.
On était cinq  gamins et deux  adultes

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