L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

68 L’OBS/N°2858-15/08/2019 MARS FILMS


EXCLUSIF
Retrouvez le portrait
de Roschdy Zem en version intégrale
sur notre site internet,
Nouvelobs.com

dans une cabane. Le Secours catholique,
qui venait en aide à cette nouvelle immigra-
tion, a proposé à mes parents de les soulager
d’un enfant et c’est tombé sur moi. Je me
suis retrouvé en Belgique dans une famille
catholique pratiquante. Ma première
langue a été le flamand. J’ai vu beaucoup
de culpabilité chez ma mère et ma mère
adoptive, à mon grand désarroi. Je n’en ai
jamais voulu à mes parents : ce sont eux qui
ont souffert, pas moi. »

“SPRINGSTEEN RACONTE


MON MAL-ÊTRE”
Roschdy Zem dit avoir un faible pour
ceux qui, en voulant faire le bien, ne pro-
duisent que du tragique. D’où sa passion
pour les faits divers et les sujets des films
qu’il réalise : « Omar m’a tuer » (2011) sur
l’affaire Omar Raddad, « Chocolat » (2016)
sur le premier clown noir dans le Paris de
la Belle Epoque ou « Persona non grata »,
sorti en juillet, un polar sur fond de lutte
des classes dans le milieu du BTP langue-
docien. « J’ai voulu renouer avec un cinéma
de genre qu’on ne fait plus en France, je
pensais à Sidney Lumet, au ton décalé des
frères Coen. On a eu beaucoup de mal à
financer le film. C’est terminé, on va droit
vers ce qu’il se passe aux Etats-Unis : un
abêtissement via le pur divertissement. »
Roschdy Zem trouve son écriture miso-
gyne, mais il se soigne. « Si je mets en scène
un autre film, ce sera pour une ou des
actrices. Leur monde obscur me passionne.
Je n’en aurais pas été capable il y a trois ans,

une pudeur en moi m’en empêchait.  »
Comme Ventura mit du temps à accepter
d’être filmé au lit avec une femme. Dans
le sexuel « Happy Few », film sur le libre
échange amoureux où il jouait
en 2010 aux côtés de Marina
Foïs, Elodie Bouchez et Nico-
las Duvauchelle, Roschdy
Zem était le seul à garder son
caleçon. L’artiste est ouvert,
l’homme sera toujours le fils
de sa mère.
Roschdy Zem n’aime pas se
montrer, mais il fait des
efforts. Les émissions de télé,
les réseaux sociaux, très peu
pour lui. « L’omniprésence des
acteurs leur nuit. Ce besoin d’exister à tout
prix me paraît nocif et contradictoire avec
le fait que les gens payent 10 ou 15  euros
pour croire à une histoire dans laquelle on
est. Je suis mal placé pour dire ça vu la
promo que je fais en ce moment, mais je
vous le dis franchement : après, vous n’allez
plus m’entendre pendant trois  ans.  » Il
refuse systématiquement de parrainer les
jeunes espoirs des César. « Je ne veux pas
leur mettre des étoiles dans les yeux. Pour
réussir dans ce métier, il faut une telle com-
binaison d’éléments qui ne dépendent pas
de votre talent. Combien en a-t-on vu se
perdre? La liste est longue. Je pense à
Gérald Thomassin, avec qui j’ai tourné
deux fois. Moi, j’ai eu la chance qu’on me
laisse apprendre dans l’ombre. Bien sûr,
j’enviais mes camarades dont le nom et la
gueule se retrouvaient sur l’affiche mais ils

avaient une pression que je n’avais pas et,
pour beaucoup, tout s’est vite écroulé. »
Le lendemain de sa première montée
des marches cannoises, en  1995, pour
«  N’oublie pas que tu vas mourir  »,
Roschdy Zem retournait vendre des blou-
sons sur son stand du marché de Saint-
Ouen. D’où lui vient cette sagesse? «  De
mon éducation. » Inculquée par sa mère,
au foyer pendant que le père écumait les
chantiers, et par les chansons de Bruce
Springsteen, son fidèle compagnon de
route. Adolescent, à Drancy, à la fin des
années 1970, quand ses camarades se par-
tageaient entre fans de Bob Marley et fans
d’AC/DC, lui ne jurait que par le Boss. « Sa
poésie racontait mon mal-être, mes envies.
J’ai trouvé en Springsteen, l’Américain du
New Jersey, les mots que je cherchais. Et
cela ne s’est jamais arrêté. Il vient de sortir
un album, “Western Stars” : son lyrisme
et sa mélancolie rencontrent l’homme que
je suis. C’est étrange d’aimer un artiste
avec la même intensité à 13 ans comme à
53  ans.  » En ce moment, notre working
class hero tourne aux côtés de Vincent
Lindon « l’Infiltré », de Thierry
de Peretti, sur l’histoire d’Hu-
bert Avoine, cet informateur
des Stups qui a révélé la com-
plicité de l’Etat dans le trafic
de drogue.
Que lui inspire la France
actuelle? « Je trouve terrifiant
qu’encore 95% des élèves des
grandes écoles soient issus de
milieux favorisés. Travail, loge-
ment : les discriminations sont
toujours très présentes. Dans
mon ancien quartier, où vit une grande par-
tie de ma famille, je vois la résignation dans
les yeux des gamins de 20  ans, de mes
neveux. L’injustice sociale fait qu’ils sont
tous chauffeurs Uber, c’est bien la preuve
qu’ils veulent s’en sortir. Mais on ne parlera
d’eux que s’ils se montrent violents ou
partent en Syrie. Et pendant ce temps, une
jeunesse se meurt. » Q

“C’EST


UNE DES


PREMIÈRES


FOIS OÙ


JE JOUE


DÉMASQUÉ.”


Roschdy Zem réalisateur, sur le tournage de son dernier film, « Persona non grata ».

Vu sur https://www.french−bookys.com

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