L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

L’OBS/N°2858-15/08/2019 69


HUMEUR


Par JÉRÔME GARCIN

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BALTEL - SIPA-BERTR AND NOEL/SIPA

AVANT-PREMIÈRE


C


’est un des romans les plus
ambitieux, amples et déflagrants
de cette rentrée littéraire. Il est
signé Denis Drummond, un
écrivain français d’origine
écossaise à qui ses récits et poèmes,
publiés jusqu’alors chez Domens,
un éditeur occitan, n’ont pas donné
la place singulière qu’il mérite. Et
comme si le destin voulait
reprendre la main et donner raison au titre de ce
roman qui s’élève sur les ruines du monde, « la Vie
silencieuse de la guerre » (Cherche Midi, 18 euros)
paraît au moment même où son auteur se bat, à mains
nues, tête haute, contre une longue maladie. La guerre,
traitée donc par un guerrier. L’invisible héros du livre,
Enguerrand, a disparu, en 2003, sous les décombres
d’un presbytère franciscain d’Alep. Photographe-
reporter, il avait couvert le Rwanda, à l’époque du
génocide de 1994, la Bosnie, lors de l’explosion de
l’ex-Yougoslavie en 1995, l’Afghanistan envahi en 2001
par l’armée américaine pour faire tomber le régime
taliban et, deux ans plus tard, l’Irak de Saddam
Hussein, bombardé par l’administration Bush. Ses
clichés, pris sur le vif et dans le sang, ont fait la une de
tous les journaux occidentaux. Mais Enguerrand
connaissait les limites de son métier, il avait le
sentiment de fabriquer à la chaîne des images de
l’horreur, il doutait de la faculté de l’objectif à pouvoir
fixer le Mal en face, il voulait « montrer les yeux de la
guerre dans le regard de Dieu ». Avant de mourir, il avait
légué à Jeanne, la femme qu’il aimait et qui travaillait
pour le HCR, quatre négatifs testamentaires, qu’un
galeriste du quartier de Notre-Dame, à Paris, va
développer et exposer. Et c’est le choc. Chaque photo
est une composition. Celle du Rwanda figure une
« Annonciation », où la Vierge n’a pas de tête. Celle de
Bosnie, un ex-voto, emprunte aux « Ménines » de
Vélasquez. Celle d’Afghanistan est un sténopé, une
« camera obscura ». Et la dernière, celle d’Irak, rappelle
le « Guernica » de Picasso, où un cheval agonise et une
mère à l’enfant mort apostrophe le ciel assassin. Pour
Enguerrand, dont les lettres envoyées à son aimée sont
autant de poèmes, la seule manière de représenter le
monstrueux visage de la guerre était de le transfigurer
et de faire hurler la beauté. On soupçonne Denis
Drummond d’avoir mis beaucoup de lui, de son
désespoir, de sa colère, de son art, dans ce photographe
que plus rien ne retient à la vie et dans ce roman
crépusculaire, placé sous l’égide de Pierre Michon :
« La littérature est la prière d’un monde sans Dieu. »
J. G.

Zabou sur tous les fronts


Rentrée chargée pour Zabou Breitman : le 4 septembre sortira « les Hirondelles
de Kaboul », le film d’animation tiré du roman de Yasmina Khadra qu’elle a réalisé
avec une graphiste issue de l’Ecole de l’Image des Gobelins, Eléa Gobbé-Mévellec,
et qui était présenté à Cannes, dans la sélection Un certain regard. Le 10 septembre
sera la première de « la Dame de chez Maxim », de Feydeau, qu’elle met en scène
au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, avec Léa Drucker, Micha Lescot, André Mar-
con. Mais on vient d’apprendre que le ministère de la Culture et Christian Estrosi,
maire de Nice, ont décidé de ne pas lui confier la direction du Théâtre national de
Nice à laquelle elle s’était déjà portée candidate en 2013. Irina Brook lui avait alors
été préférée. Cette fois, c’est Muriel Mayette-Holtz, l’ancienne administratrice de
la Comédie-Française, qui a été choisie. JACQUES NERSON

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