L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

DOMINIQUE FAGET/AFP POUR « L’OBS » L’OBS/N°2858-15/08/2019 7


Jean-Daniel


Zamor


Le patron du Clap, le Collectif des Livreurs


autonomes parisiens, est à l’initiative de la grève


perlée qui réunit sporadiquement les coursiers


à vélo de Deliveroo depuis le début du mois d’août



CLAP
De l’allure et une voix qui
porte. Jean-Daniel Zamor
préside le Clap depuis 2017
et a, bien souvent, dû poser
pied à terre pour soutenir
ses camarades, travailleurs du
bitume. L’abolition, début août,
du prix minimal de la course
(autrefois fi xé à 4,70 euros)
chez Deliveroo a mis le feu aux
poudres. « Livrer des pizzas
pour deux euros... J’appelle ça
niveler par le bas! »


SLIP
Né à Clichy-la-Garenne,
Zamor, 24 ans, a grandi
au bout du RER E,
à Emerainville (Seine-
et-Marne), où il cumule
intérim la journée et courses
à vélo à Paris, le soir et les
week-ends, pour Stuart et Uber
Eats. « Durant le seul mois
où je suis devenu livreur, Uber a
changé sa tarifi cation trois fois!
Je me suis aperçu de la précarité
du job. » Il rencontre rapidement
Jérôme Pimot, emblématique
cofondateur du premier collectif
français de livreurs, qui a,
s’esclaffe Zamor, « failli s’appeler
“Slip”, pour Syndicat des
Livreurs parisiens! » Le courant
passe, il s’investit. Mais il ne
se serait « pas présenté
à la présidence du Slip, si on
avait conservé ce nom! »


HAÏTI
Nés en Haïti, ses
parents s’installent
en France à l’âge
de 25 ans. La mère
est cantinière dans
un lycée, le père agent d’une
entreprise de livraison pour
des enseignes de prêt-à-
porter... Jean-Daniel y a travaillé
en intérim, alors que la boîte
frôlait le redressement :
« Une expérience violente,
j’avais 20 ans! » A vélo, il croise
parfois des visages familiers :
« C’était très courant pour les
Haïtiens arrivés en France de
devenir chauffeurs de taxi. J’ai
pas mal de famille qui fait ça! »


MUSCLE
« Je suis devenu livreur
par amour du sport... car
j’allais beaucoup à la salle.
Je sais, ça ressemble à
une blague! » Physiques,
les livraisons à vélo comportent
leur lot de risques psycho-
musculo-squelettiques. « Je n’ai CHARLOTTE CIESLINSKI

jamais eu de blessure », souffl e
Zamor. D’autres, comme Aziz
Bajdi, ont eu moins de chance.
Cet ex-livreur de Deliveroo s’est,
en 2017, perforé l’abdomen après
une chute, découvrant alors que
les dommages au torse n’étaient
pas pris en charge par son
employeur. Des assurances
minimales existent désormais,
mais elles sont insuffi santes
selon les livreurs grévistes.


ASSAS
Les coursiers ne sont
pas salariés. Auto-
entrepreneurs, ils
cotisent au régime
des indépendants (RSI)
sans congés payés ni couverture
maladie. Un modèle économique
adopté par les géants de la
food tech partout dans le
monde et « au sein duquel, on
doit urgemment s’organiser »,
insiste Zamor, qui a gardé
quelques notions en droit
du travail après un cursus
à l’université Assas « mis
entre parenthèses pour mieux
se consacrer à la défense
des travailleurs ubérisés ».
Mystérieux, il promet
de « grandes
annonces » pour
l’automne :
« Un projet qui
améliorera

notre représentation, mais aussi
celle des chauffeurs VTC, femmes
de ménage en sous-traitance... »
Suspense!


POLITIQUE
Courtisé par les élus,
le patron du Clap se
déclare non partisan.
Mais confesse avoir été,
plus jeune, fasciné
par Nicolas Sarkozy, avec lequel
il a effectué sa première
apparition télévisée sur BFM TV.
« Les partis politiques m’ont
vite dégoûté. Trop peu
démocratiques! »


AMOUR
Grand bavard, volontiers
philosophe, Zamor
est passionné d’histoire
et adore les uchronies.
« Ce que j’aime le plus
dans la vie, c’est décortiquer les
relations humaines. » D’ailleurs,
il écrit à ses trop rares heures
perdues un roman d’amour!


STRESS
Réputé pour son
sang-froid, Zamor se
souvient de livraisons
cauchemardesques.
« Le client attendait sa
commande depuis longtemps
et il pleuvait. Je me suis
dépêché et j’ai chuté à vélo.
Quand je suis arrivé en bas de
l’immeuble, la pluie avait ravagé
le sac et le client ne répondait
plus! Heureusement, j’étais
payé à l’heure. Être payé
à la course, c’est un contre-la-
montre permanent qui incite
à prendre tous les risques. »


MINIMUM
HORAIRE
« Partout en Europe,
nous, employés de ces
plateformes, travaillons
à l’élaboration d’une
initiative citoyenne européenne
qui les obligerait à nous payer
avec un minimum horaire
garanti, fi xé par chaque Etat
membre », confi e Zamor
au sujet de cette revendication
« prioritaire ».

10


MOBILISATION
Compliqué
de rassembler des
travailleurs mal
informés, peu
disposés à sacrifi er
une soirée de revenus.
Et Deliveroo ne se prive pas
de souligner que seuls
quelques centaines de livreurs
sur les 11 000 employés en
France par la plateforme
britannique se
rassemblent. « La plupart
sont précaires. Cette
diffi culté à mobiliser
et à témoigner
est inhérente à
l’ubérisation », regrette
Zamor. Qui reste tout
de même optimiste :
« Ils ne seront pas
déçus, car le
mouvement de fond,
lui, est réel. »

10 CHOSES À SAVOIR SUR...


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