L’Obs N°2858 Du 15 au 21 Août 2019

(Jacob Rumans) #1

82 L’OBS/N°2858-15/08/2019 TOPFOTO/ROGER-VIOLLET


TENDANCES






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LES REVENANTS 6/7


Coco Chanel


à Biarritz


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lle a un petit choc. Bordel, ils
ont viré sa belle devanture, son
beau store tout blanc avec son
beau nom CHANEL marqué
dessus. C’était son premier ate-
lier couture, en 1920, 60 ouvrières! Elle est
à peine consolée par le fait qu’ils ont mis
une librairie à la place. Ça la dégoûte
quand même d’être tombée dans l’oubli.
Mais elle s’attendait à quoi, au juste? A
l’immortalité, elle, venue de nulle part?
Elle regarde passer les gens qui vont à la
plage, il lui semble réentendre sa sœur lui
dire : «  Bon, ben faut pas te faire un des-
sin... » C’est clair qu’à voir comment sont

attifées ces greluches, tout d’elle a disparu.
Savent-elles au moins que sans elle, sans
Coco Chanel, elles n’auraient peut-être
même jamais eu l’idée d’oser le maillot de
bain? Encore qu’elle, elle trouvait ça
confortable, génial, mais moche. C’est
pour ça qu’elle avait imaginé des panta-
lons... Bah, je radote, elle grommelle, chuis
comme les vieux qui pensent qu’au passé.
A peine elle parle de «  vieux  », qui se
pointe juste à deux mètres d’elle? Paul
Morand! « Ah ben, t’es revenu aussi ?! » elle
s’étonne. « Oui... » Mais l’écrivain écoute à
peine, il a les yeux qui lui sortent des
orbites rien qu’à regarder passer les don-

Et si les personnalités les plus infl uentes


du XXe siècle revenaient sur les lieux qu’elles ont marqués?
Cet été, Sophie Fontanel voyage dans le temps

zelles le cul à l’air. « Ça te fait quel âge ? »
lui demande Chanel. «  L’âge de bander
encore, ma grande », il lui répond aussi sec.
Tout le monde disait qu’il fi nirait pria-
pique celui-là, à se vanter de ses conquêtes.
«  On rentre dans la librairie, pour voir ?  »
propose Coco. Et les voici qui poussent la
porte d’autrefois.
A l’intérieur, comme par un fait exprès,
la première chose que Coco voit, près de la
caisse, c’est « l’Allure de Chanel », par Paul
Morand! « Non mais dis donc, espèce d’en-
foiré, t’as fait un livre sur moi après ma
mort ? » Il attrape le livre lui aussi et fait
genre le premier étonné, mais il a le nez qui
s’allonge comme quand il trompait sa
femme. «  Tu manques pas de culot !  » lui
balance Coco. Il est rouge comme une
tomate. C’est à ce moment qu’une jeune
femme prend un des exemplaires et dit à
la caissière : « Je vais vous le prendre,
je suis fan de Chanel. » Fan de
Chanel! Coco se tourne
vers Morand : «  Tu te
rends compte, on ne m’a
pas totalement oubliée,
même s’ils ont fermé ma
boutique.  » Morand fait
un bond : « Bien sûr que
non, on ne t’a pas oubliée!
Chanel est la marque de
mode la plus connue au monde ! »
Et Coco : « Mais... la boutique... remplacée
par une librairie... » Morand : « Ah mais ça,
on s’en branle! Tu sais combien de chiff re
d’aff aires Chanel a dégagé cette année? Dix
milliards d’euros ! » Coco : « C’est quoi, ça,
des euros ? » « Aujourd’hui, c’est quasi des
francs, t’inquiète... » Coco est bien pensive,
tout à coup. Par la vitre de la librairie, elle
réexamine les vacancières. « Écoute, Paul,
c’est fabuleux ce que tu me dis, mais on pour-
rait facile quadrupler ce chiff re d’aff aires
rien qu’en trouvant comment donner de l’al-
lure à ces abruties. » Il jette un coup d’œil à
la rue, lui aussi. « On pourrait, ouais... mais
est-ce qu’il n’y a pas mieux à faire ? » Elle
s’étonne : « Mieux à faire que d’habiller les
gens ?  » Il fait une moue terrible :
«  Aujourd’hui, moi, j’aime bien plutôt les
rhabiller...  » Coco  : «  C’est bien ce que je
dis ! » Morand : « Non. Moi je les rhabille par
écrit. Je les rhabille pour l’hiver, si tu pré-
fères. Je suis devenu “hater” sur Twitter, si
tu veux tout savoir. » Elle ne comprend rien
à ce qu’il dit mais elle sent que ça va encore
être un nid à emmerdes. Elle va plutôt
essayer de monter à Paris voir si son appart
est toujours là. Q

LA
COUTURIÈRE
SUR LA CÔTE
BASQUE, EN 1928.

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